En 1993, Jean-Guy de Saint-Périer a une vie rêvée. Passionné de voile, il travaille, depuis dix ans, en tant qu’ingénieur de recherche dans les voiliers de compétition, à La Rochelle, et enseigne dans plusieurs écoles. « J’avais toutes les conditions extérieures pour être heureux, mais je trouvais que ma vie manquait singulièrement de sens. Ça engendrait chez moi une forme de frustration. Il était temps que je cherche une manière de comprendre ce qui se passe dans l’esprit », se souvient le lama de 57 ans. Depuis son enfance, le scientifique de formation est très curieux de comprendre le fonctionnement l’univers. « J’ai fait des études en mathématiques, en physique, en biologie, en astrophysique, en mécanique quantique… Je voulais connaître l’interaction entre l’esprit et l’univers ; je voyais qu’il y avait quelque chose à chercher. »
C’est alors que des amis lui proposent de traverser l’Atlantique à la voile, en décembre 1993. « J’ai emporté des bouquins sur la spiritualité, le fonctionnement de l’esprit, les méthodes de psychothérapie, et notamment des livres sur le bouddhisme. » Au bout d’une semaine, les navigateurs sont cueillis par une tempête dans le Golfe de Gascogne. Réfugiés au port de Gijon (Espagne), ils restent à quai pendant six semaines. « Je lisais beaucoup, notamment un livre sur la méditation de Bokar Rinpoché. J’ai commencé à pratiquer, et beaucoup de réponses à des interrogations sous-jacentes se sont élevées dans mon esprit, comme des intuitions. Un autre livre, L’esprit caché de la liberté de Tartang Tulku, parlait de la vision bouddhique du monde ; j’ai trouvé cette philosophie tout à fait pertinente par rapport aux questions que je me posais. »
« Lama Guendune, la personne que j’avais toujours cherchée »
Jean-Guy reste toutefois prudent. « Je voulais savoir si les bouddhistes pratiquaient en conformité avec ce que j’avais lu ». En janvier 2014, l’ingénieur arrive à Dhagpo Kagyu Ling, en Dordogne, où il rencontre notamment Lama Jigmé Rinpoché. « Je me suis exclamé : « Le bouddhisme, c’est extraordinaire ! » Mais, et cela m’a surpris, il n’a pas donné prise à mon enthousiasme. Il a juste dit : « Vous n’avez qu’à faire quelques stages et vous verrez bien par vous-même ». Après réflexion, cela m’a rassuré, car il me laissait la responsabilité pleine et entière de mon engagement. »
Un enseignement avec Lama Guendune Rinpoché, trois mois plus tard, le fait définitivement basculer. « C’était comme rencontrer la personne que j’avais toujours cherchée à travers des professeurs ou mon grand-père, l’académicien Jacques de Bourbon Busset. Quelqu’un qui me transmette un savoir qui donne sens à ma vie. »
Au début, Jean-Guy médite quinze minutes par jour et suit des stages au moins une fois par mois à Dhagpo Kundreul Ling (Puy-de-Dôme). « Je n’avançais pas aussi vite que je pensais pouvoir le faire. Mon orgueil en a pris un coup, et ça m’a fait du bien ! », assure-t-il. Pour approfondir sa pratique, il s’engage encore plus. « Au bout d’un an et demi, en décembre 1994, j’ai tout lâché à La Rochelle pour rejoindre le monastère. Et, en mars 1998, avec l’accord de Lama Guendune, j’ai commencé une retraite de trois ans. »
La méditation et la bienveillance au quotidien
Au départ, le Bouddha est une idée, un concept. « Mais, progressivement, on n’a plus besoin de s’y raccrocher, car cette idée devient une évidence. La nature du Bouddha, ce n’est rien d’autre que les qualités innées du cœur et de l’esprit. En méditant douze heures par jour, on rencontre nos peurs et on se rend compte qu’elles ne sont basées sur rien. On s’abandonne et on arrête de vouloir contrôler les choses. On voit surgir quelque chose d’indicible, d’une grande plénitude ».
« Suivre un enseignement avec Lama Guendune Rinpoché, c’était comme rencontrer la personne que j’avais toujours cherchée à travers des professeurs ou mon grand-père, l’académicien Jacques de Bourbon Busset. Quelqu’un qui me transmette un savoir qui donne sens à ma vie. »
À peine sorti de sa première retraite, en juin 2001, Jean-Guy enchaîne sur une seconde, un mois plus tard, jusqu’en novembre 2004. Aujourd’hui, il affirme que « tout est en nous, qu’il n’y a rien à chercher en dehors de soi. À partir de la confiance qu’on acquiert en méditant, une grande bienveillance peut prendre place envers les autres, les situations ».
Cette bienveillance, il tâche de l’appliquer au quotidien, en s’appuyant sur son exercice matinal. « Je me lève très tôt, vers 5h. Je consacre deux heures à cette observance. Après m’être mis en lien avec la confiance, je récite la sadhana, qui comporte des phrases ayant des significations très profondes. Arrive la méditation. La visualisation s’élève plus naturellement, même s’il faut parfois faire des efforts de vigilance, parce qu’on peut être distrait par des pensées. On ne les rejette pas, car, pour se détendre, il faut l’accepter pleinement. La pratique formelle infuse en nous et, dans la journée, on maintient cette ouverture. J’essaye donc, dès le matin, d’être au service des collègues, des visiteurs du centre, de la situation. »
Sciences et vacuité
À partir de 7h30, Jean-Guy, qui est responsable de projets et administrateur à Dhagpo Kagyu Ling et Dhagpo Kundreul Ling, s’active. Il anime un groupe en stage, participe à des réunions, travaille sur des dossiers… « Avant, lorsque j’avais un objectif, quelque chose de fixe était déterminé. Aujourd’hui, ce qui peut paraître prioritaire un jour ne le sera peut-être plus une semaine plus tard. Il faut s’adapter, se demander pourquoi faire ce projet ? » En tant que lama, Jean-Guy de Saint-Périer partage son enseignement dans les centres Dhagpo en France, ainsi qu’en Belgique.
La pratique bouddhique n’a pas manqué d’éclairer ses questionnements scientifiques. « Pour le Bouddha, on ne peut pas distinguer l’esprit de tout ce qui se manifeste. La notion de vacuité, c’est la compréhension que les choses n’ont pas de substance propre, car elles partagent la même structure. En mécanique quantique, la matière a soit un comportement corpusculaire, comme des petits cailloux, soit elle a un comportement ondulatoire, comme les vagues sur l’océan. On serait tellement rassurés si on pouvait figer, définir les choses. Dans le bouddhisme, il y a des démonstrations très simples qui montrent qu’on n’y arrivera jamais »