Bien avant Gutenberg, l’imprimerie était bouddhiste

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Papier et imprimerie ont été inventés en Asie orientale des siècles avant que ces technologies arrivent en Europe. Et les bouddhistes ont été au premier rang de cette histoire méconnue.

Quatre grandes inventions ont permis à l’Occident d’imposer sa suprématie au reste du monde depuis le XVIe siècle : la boussole, la poudre, le papier et l’imprimerie. Elles sont toutes chinoises. Pour schématiser : boussole et poudre servent à conquérir (explorer et soumettre). Papier et imprimerie sont indispensables à la prospérité des pays.

Le papier est inventé il y a environ vingt-cinq siècles en Chine, sous forme de carton rigide. Vers le début de l’ère chrétienne, les nobles l’utilisent pour leur propreté corporelle – il faudra attendre le milieu du XIXe siècle pour que le PQ arrive en Europe. Plus important, les techniques de production du papier se sont affinées suffisamment pour que l’on commence à écrire dessus. Si l’invention est attribuée au haut fonctionnaire Cai Lun vers 105, on a retrouvé trace de vrai papier à écrire datant de l’an 8 de notre ère. Il n’arrivera en Europe (Espagne musulmane) qu’au XIe siècle.

Innovation majeure par rapport aux autres supports d’écriture (tablettes d’argile, planchettes de bois, peaux de veau ou de mouton à Rome, papyrus en Égypte, feuilles de palmier séchées en Inde, fibre de cactée en Amérique centrale…) : le papier est industrialisable. Durant le Moyen Âge, la Chine produira l’essentiel des livres sur la planète.

Le bouddhisme prend racine en Chine au même moment, à partir du début de notre ère. Il s’appuie depuis ses origines sur une culture de la lettre et du débat. La nécessité de préserver les enseignements multiples mène les moines à multiplier les copies et compilations de sûtra, incluant tout type de textes, règles monastiques, doctrines, sermons et prières, à une échelle inégalée dans le monde religieux. Nul étonnement si c’est dans les monastères que commence cette révolution de l’écrit : la production en masse de textes identiques. Le gain est extraordinaire. Quand il faut des années à un copiste pour recopier manuellement un livre, quelques jours ou semaines suffisent pour l’imprimer artisanalement.

Les moines chinois inventent l’imprimerie

C’est au VIIe siècle que les moines chinois font le pas définitif. Ils inventent l’imprimerie en utilisant des planches de bois dur, gravées, pour reproduire en série des textes et des images – une industrie toujours active dans certains monastères traditionnels. La plus ancienne xylographie, aujourd’hui entière, est une image datant de 642, imprimée sur tissu et retrouvée dans une grotte près de Dunhuang. Deux documents imprimés sur papier – une image du bodhisattva de la Médecine Bhaisajyaguru datant des années 650, et un sûtra copié vers 700 et retrouvé en Corée, le Grand Sûtra de Dharani (photo 1) – sont les plus vieux documents imprimés sur papier connus au monde. Lors de son règne de 764 à 770, l’impératrice japonaise Kôken fait imprimer ce sûtra de Dharani en un million d’exemplaires !, sur des feuilles de 6 x 45 cm qui seront scellées dans de petits stûpas en bois. Quant au plus ancien livre imprimé connu, c’est un exemplaire du Sûtra du Diamant (photo 2) imprimé en 868.

Le Canon de Kaibao, première édition du Canon chinois des Trois Corbeilles (Dazangjing), est imprimé de 971 à 983 en plusieurs dizaines d’exemplaires. Des cadeaux de rois. Ses exemplaires seront reproduits en série au Japon à partir de 1002, au Vietnam à partir de 1008, en Corée à partir de 1010 et au royaume des Xia occidentaux (correspondant au nord-ouest de l’actuelle Chine) à partir de 1090. Cette diffusion rapide souligne la capacité technologique de l’Asie orientale à cette époque, et les ressources importantes que les monastères et États donateurs pouvaient affecter à cette production, qui reste essentiellement bouddhique jusque vers l’an 1000.

Partie des monastères, l’imprimerie allait participer activement au développement sociétal. Ainsi, à partir de 932, au cœur des guerres civiles chinoises, le prince et chancelier Feng Dao fait imprimer en série les classiques confucéens dans l’idée de moraliser le pays.

Lors de son règne de 764 à 770, l’impératrice japonaise Kôken fait imprimer le sûtra de Dharani en un million d’exemplaires !

La Chine de la dynastie Song (960-1279) sera la première puissance à utiliser du papier imprimé comme monnaie (photo 3), des billets de banque qui ne seront produits en Europe qu’à partir de la fin du XVIIe siècle. À la même époque sont imprimés de nombreux textes profanes, des romans, mais aussi des ouvrages techniques, tels des manuels d’agronomie destinés aux fonctionnaires, pour leur conférer un savoir pratique pour améliorer la productivité agricole et les savoir-faire hydrauliques.

Au milieu du XIe siècle, l’ingénieux Bi Sheng perfectionne l’imprimerie à caractères mobiles, connue depuis le IXe siècle et utilisée notamment par Feng Dao. Contrairement à ce qui a souvent été dit, le grand nombre d’idéogrammes chinois ne posait pas de limite technique insurmontable. La vraie difficulté restait de doser la pression de la planche frottante (frotton qui, actionné manuellement, déloge les caractères au bout de quelques passages), et la solidité des caractères (qui risquent de se briser). Bi Sheeng remplace le bois dur (buis) par des caractères en argile qu’il fait cuire à même une planche de fer. Ses successeurs essaieront des caractères en bronze.

Dans les années 1450, Johannes Gutenberg « invente » l’imprimerie à Strasbourg. Plus exactement, il améliore une invention chinoise (connue par les récits de voyageurs, peut-être déjà diffusée en Europe par les routes de la Soie) grâce… au vin. Non pas par une imagination libérée par l’alcool, mais parce que l’usage du vin dans l’Europe chrétienne (il en faut pour célébrer la messe) avait poussé les artisans à améliorer considérablement l’efficacité des presses.

Combiner ces presses à bras, plus efficaces que les presses à frotton asiatiques, à l’usage de caractères à base d’un alliage de plomb, matériau associant tenue à la pression et facilité au modelage, et à des encres persistantes à base d’huile (et non d’eau), voilà le génie de Gutenberg. Il n’a pas inventé l’imprimerie, mais il l’a tellement améliorée qu’il lui a permis de devenir omniprésente dans nos vies. Et devinez quel document il a choisi de diffuser en premier ? La Bible.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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