En plein cœur de l’effervescente ville de Rio de Janeiro, à deux encablures d’une cohue bruyante jour et nuit, une rue pavillonnaire à la végétation tropicale, avec le chant des oiseaux comme seul bruit, dégage une sérénité qui d’emblée plonge ailleurs. Les maisons aux façades d’un blanc impeccable s’alignent les unes aux autres. C’est à peine si l’on distingue le temple. Un portail noir, des plantes vertes, un petit pavillon à un étage et l’enseigne BLIA sur la porte : c’est ici que se niche l’un des deux cents monastères au Brésil et à l’étranger de Fo Guang Shan (l’ordre monastique fondé à Taïwan en 1967 par le maître Hsing Yun) et la BLIA (Bouddhist Light International Association), créée en 1992 et reconnue comme ONG par les Nations Unies en 2003. À Rio, la BLIA mène de nombreuses actions dans les favelas.
Une nonne comme guide spirituel du temple
Une femme en jupe et chemisier, la cinquantaine et parlant un bon français, ouvre la porte avec un sourire des plus accueillants. C’est Zenzide, une Brésilienne, réceptionniste bénévole depuis six ans et convertie au bouddhisme. À première vue, le lieu n’a rien de « bouddhiste ». Du carrelage blanc, un grand salon, une table le long de la baie vitrée, un comptoir en bois qui fait office de réception, et au fond, une grande cuisine. Le « temple » est à l’étage. Zenzide appelle la nonne maître des lieux : Miao Wei. De sa petite stature se dégage une douceur mêlée d’une forte personnalité. Âgée de 52 ans, elle est venue au bouddhisme via la méditation qu’elle a découverte à 28 ans dans l’un des monastères Fo Guang Shan, à Taïwan. « Cette voie s’est imposée à moi comme une évidence. Je me suis convertie au bouddhisme et j’ai été ordonnée nonne. Mon désir est de servir la société et l’humanité de façon la plus vertueuse possible. » Nommée en 2012 par le Vénérable maître Hsing Yun pour diriger le temple de Rio ouvert en 1996, elle en assume seule la responsabilité : « J’assure les pratiques et les enseignements et suis aidée d’une trentaine de bénévoles taïwanais et brésiliens pour l’administration, la communication, les événements et les activités régulières », explique-t-elle. Et d’ajouter : « Dans les trois temples au Brésil de Fo Guang Shan, il y a une majorité de femmes et c’est Miao Yen, une nonne, qui dirige le monastère de Sao Paolo, « Zu Lai », le plus grand temple bouddhiste de toute l’Amérique du Sud ».
Un bouddhisme humaniste
De la lignée Mahayana et se référant au bouddhisme Chan, Fo Guang Shan a été fondé dans le but de promouvoir un « bouddhisme humaniste ». « Pour servir la société et se consacrer à la population », dit son fondateur Hsing Yun. Tout en servant le thé qu’une des bénévoles du temple vient de préparer, Miao Wei détaille : « Notre philosophie est de répandre le dharma du Bouddha par la voie culturelle, de former des talents par l’instruction, d’apporter le bien à la société par des œuvres charitables et de purifier le cœur par la pratique du bouddhisme. Que nous soyons religieux ou laïques, nous sommes tous guidés par cette approche d’un bouddhisme humaniste ». « Regardez ! », dit-elle en tendant la revue mensuelle d’ailleurs intitulée Budismo Humanista, dans laquelle on peut lire des articles sur l’actualité du temple, la méditation et la dépression, les actions socio-éducatives de la BLIA dans les favelas (les « bidonvilles » implantés au cœur même des grandes villes, réputés pour leur violence et leur pauvreté). « Ici, il y a beaucoup d’inégalités et de violences. Cela nous donne une très belle occasion de mettre en pratique ces préceptes. »
« Avec la BLIA à Rio, ajoute l’abbesse, nous avons monté par exemple un projet en mars 2003, en réponse aux problèmes sociaux recensés dans le quartier sensible de Santa Angela. Son objectif est de permettre la scolarisation d’enfants et d’adolescents à risques, de stimuler l’exercice de la citoyenneté et de promouvoir l’inclusion sociale ».
Des bouddhistes dans les favelas
Ce sont dans les favelas que les bénévoles bouddhistes de la BLIA interviennent en priorité. Convaincue que « seule l’éducation pourra permettre aux enfants de sortir de la misère et de la criminalité qui les entourent », Miao Wei modère cependant son enthousiasme. « Ne pas voler, ne pas mentir, ne pas tuer, ne pas se laisser aller dans les drogues ou l’alcool, tous ces préceptes sont une réalité si ancrée du quotidien des favelas qu’il nous est difficile de mettre ces enfants à l’abri de tels dangers ».
Aller dans ces bidonvilles n’est pas non plus une mince affaire ! « Si les gangs qui tiennent les lieux ne vous connaissent pas, ils peuvent vous tirer dessus », poursuit-elle, se souvenant d’une « virée » à São Paolo. « Ce sont des moniales habillées en civil qui y sont allées les premières, rencontrant d’abord des femmes. Nous avons échangé et, peu à peu, elles nous ont fait confiance et compris que notre démarche était de les aider dans leur quotidien, avec leurs enfants, de les aider à acquérir plus d’autonomie : leur apprendre à réparer une panne d’électricité ou à gérer un budget, leur proposer des cours gratuits de langue, de sport ou d’informatique. »
« Notre philosophie est de répandre le dharma du Bouddha par la voie culturelle, de former des talents par l’instruction, d’apporter le bien à la société par des œuvres charitables et de purifier le cœur par la pratique du bouddhisme. »
Miao Wei
Dans les favelas de São Paolo, la Fondation des Fils de Bouddhas a monté trois écoles accueillant 107 élèves au total. « À Rio, c’est trop dangereux, on n’y va pas. À la place, on a ouvert des cours de soutien scolaire, où étudient une soixantaine d’enfants qui sont souvent ceux des mères que l’on aide dans les favelas. Mais venir dans un lieu bouddhiste ne leur est pas familier, il y a encore des réticences », regrette-t-elle. Fière toutefois, de préciser que « les meilleurs élèves ont la possibilité d’être scolarisés dans les collèges et universités que notre Maître Hsing Yun a fondés à Taïwan, en Australie ou aux États-Unis ».
Des équipes de football entraînées par des bouddhistes
Au pays du football, nul hasard à ce que la BLIA ait fondé un club : la BLIA F.C., où les jeunes peuvent jouer en amateur ou plus sérieusement en étant pensionnaires. « À São Paolo, trente jeunes entre 12 et 16 ans ont fait le choix d’être pensionnaires au temple. Un bâtiment leur est dédié avec des classes où ils suivent le programme scolaire et un entraînement sportif quotidien », raconte Miao Wei, tout en sortant un album de photos où l’on voit ces jeunes disputer un match. Au total, deux équipes entraînées par des footballeurs bouddhistes, dont un de nationalité brésilienne : le célèbre Mario Guerra qui entraîna l’équipe olympique du Brésil dans les années 80. « Ce club permet à certains jeunes de réaliser leur rêve », se réjouit l’abbesse du temple de Rio. Mais précise-t-elle : « Jamais nous ne forçons ces jeunes ou les femmes que nous aidons à adhérer au bouddhisme. Nous ne sommes pas là pour convertir qui que ce soit, mais pour montrer l’exemple d’une autre voie. Souvent, ceux qui reçoivent notre aide deviennent sensibles à notre façon de vivre, de penser et adhèrent par choix au bouddhisme. J’ai vu beaucoup de mères venir ici pour suivre nos activités culturelles et se mettre à la méditation. Certaines m’ont même confié qu’elles souhaitaient se convertir ».
Le bouddhisme attire les Brésiliens
« Dans notre société où l’Église catholique se vide au profit des Évangélistes, certains font le choix d’une autre voie », raconte Zenzide. « J’ai été baptisée catholique, mais dès l’âge de 16 ans, je suivais mon frère dans un temple bouddhiste tibétain. Cela a développé ma conscience, me permettant de trouver des réponses à ma vie que je n’avais pas avec l’Église. » Humaniste dans l’âme, elle a enseigné la méditation dans les favelas, a fait du bénévolat dans plusieurs ONG brésiliennes avant de rejoindre Fo Guang Shan, où elle passe trois jours par semaine. Carlos, 50 ans, est un autre bénévole du temple. Aussi robuste que timide, il n’ose pas parler, mais confie que c’est le décès de sa sœur, en janvier 2017, qui l’a fait venir ici. « Je me suis dit que la méditation pourrait m’aider à surmonter cette épreuve. Je me suis senti accueilli, accepté avec mes fragilités et jamais jugé. C’est si rare ! » Ici, il donne des cours d’informatique, d’anglais et de maths. « Se consacrer aux autres permet de se réaliser et la satisfaction que l’on en tire n’a pas d’égal », poursuit ce bénévole converti au bouddhisme en septembre dernier.
Pour beaucoup de Brésiliens, la venue aux activités sportives, culturelles ou de méditation dans les temples est un premier pas. Avec près de 250 000 adeptes, le bouddhisme, encore minoritaire, est avec le mouvement chrétien évangéliste la religion qui s’est le plus développée ces dernières années, attirant de plus en plus de fidèles