Christophe Boisvieux : zoom sur l’intimité de l’esprit

- par Henry Oudin

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À 58 ans, Christophe Boisvieux peut se targuer d’avoir photographié les quatre coins de l’Asie. Un amour pour l’Orient qui ne doit rien au hasard. Depuis sa rencontre avec cette tradition dans sa jeunesse, il n’a cessé d’être fasciné par ce qu’il considère comme sa famille spirituelle. À tel point qu’il pratique la méditation au quotidien. Un exercice qui l’aide à cultiver la bienveillance et l’humilité dans son travail. Ses photographies au cœur de l’intime des êtres en témoignent.

Depuis trente-cinq ans, Christophe Boisvieux capture sur pellicules des moments d’une rare intensité spirituelle. Des épopées dansées par les moines dans l’Himalaya tibétain, des Birmans tapissant le sol des pagodes de lampes à huile ou offrant des montgolfières en formes d’animaux au Bouddha…

Du Népal à la Thaïlande, de la Mongolie au Sri Lanka, le photographe a visité tous les pays de tradition bouddhique. À tel point que le reporter aux cheveux blancs s’y sent, à chaque fois, « comme un poisson dans l’eau », assure-t-il d’un sourire tranquille. Une véritable famille spirituelle à laquelle il a souhaité rendre hommage, avec l’écrivain Olivier Germain-Thomas, dans le livre Lumières du Bouddha. Bien que n’ayant pas pris refuge, les deux auteurs ont été profondément marqués par leur rencontre avec le bouddhisme. « Souvent martial au Japon, très nonchalant au Laos, les facettes de cette tradition sont multiples. Elle s’est vraiment adaptée aux pays qu’elle traversait », témoigne Christophe Boisvieux, d’un timbre grave et posé.

Dans la cellule des moines coréens

Le baroudeur a d’abord fait la connaissance du Dharma à travers des textes, à l’adolescence. « Comme beaucoup de jeunes, j’ai commencé par la vision très romancée proposée par Hermann Hesse dans Siddhartha ». Sa rencontre avec le bouddhisme authentique s’est produite plus tard, sur le terrain, en 1984. Un concours photographique propose de ramener des images d’un pays accueillant. Christophe décide de partir un mois en Corée du Sud. Il loue une moto et y séjourne de monastère en monastère. « Il suffisait de bredouiller quelques mots de coréen, à l’accueil, pour demander l’hospitalité pour la nuit. Parfois, ça impliquait de partager la cellule des moines. Ces derniers ne parlant pas anglais, difficile de communiquer », relève le photographe, qui ajoute : « Je recevais tout autant par le silence. J’ai été profondément touché par la beauté de la liturgie : la vibration profonde des cloches dans la montagne, les sutras psalmodiés à l’heure de la prière, les prosternations qui mettent en pièces le « petit » moi ».

« La méditation joue un rôle subtil dans les relations que je tisse avec les personnes que je photographie. Une sorte de connivence s’installe, ce qui me permet de saisir l’intimité des regards. »

Les photos de cette immersion, qui font de lui l’un des lauréats du concours, sont ensuite exposées au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Et c’est, pour lui, le point de départ d’une aventure spirituelle. Souhaitant approfondir ses connaissances sur le bouddhisme, il se procure, avant ses 30 ans, L’enseignement du Bouddha d’après les textes les plus anciens, du moine theravada sri-lankais Walpola Rahula. « J’ai vraiment eu l’impression d’avoir un trésor entre les mains ». Aujourd’hui, les Quatre Nobles Vérités résonnent vraiment pour lui. « L’impermanence de toute chose est une vision profonde sur la vie. Quand on s’attache à ce qui est impermanent, on court après une illusion. Entendre que la libération, c’est être affranchi du désir, a quelque chose de révolutionnaire ».

En Inde, sur les traces du Bouddha, des ascètes et de la voie du Milieu

Christophe Boisvieux regrette que certains voient dans le bouddhisme une religion nihiliste. « Si on ouvre les journaux ou que l’on fait un travail d’introspection, on voit que la souffrance et l’impermanence sont au cœur de l’existence. Si on le souhaite, on peut « s’en libérer » par le chemin que propose le Bouddha. » Comme l’aurait fait un pèlerin, lors de ses nombreuses pérégrinations en Inde, le photographe a suivi le parcours terrestre de Siddhartha, le prince indien. Il y a peu, il s’est encore retrouvé à Bénarès et à Sarnath, la cité où le Bouddha a délivré son premier sermon. Il y a croisé des saddhus – renonçants – pratiquant des ascèses extrêmes, couverts de cendres et entièrement nus. Une occasion pour lui de se rappeler ce qu’est la voie du milieu : « Le Bouddha a lui aussi été très loin dans l’ascèse, mais y a renoncé quand il a failli mourir d’inanition », remarque-t-il.

La méditation pour mieux saisir les regards

Pour suivre cette voie médiane, Christophe a commencé à pratiquer la méditation il y a une trentaine d’années. Depuis quinze ans, c’est devenu pour lui une hygiène de vie. Chaque matin, pendant une demi-heure, il s’assoit sur son coussin. Assailli de pensées qui s’enchaînent, il tâche de revenir à lui-même et connaît parfois la grâce de toucher des moments de plénitude. « Difficile de ne pas s’y attacher ! », remarque-t-il. Une pratique parfois ingrate. « À mes débuts, j’avais parfois l’impression de perdre mon temps. Mais la méditation se révèle très gratifiante si on prend la peine de persévérer et d’accepter, avec humilité, que nous sommes endormis ». La pratique imprègne tout le flux de son existence. Dans la vie de couple ou au travail, cela lui permet de ne pas être emporté par les émotions. « Lorsque je photographie, par moment, je suis dans une urgence intérieure des instants que je veux saisir. La méditation joue alors un rôle subtil dans les relations que je tisse avec les personnes que je photographie. Une sorte de connivence s’installe, ce qui me permet de saisir l’intimité des regards ».

Leçon joyeuse d’impermanence en photo

Lors de la Fête des Lumières, en Birmanie, ses photographies captent une très grande dévotion sur les visages recueillis, éclairés par la lumière chaude des bougies. L’ordination des futurs moines reste un événement très marquant, auquel Christophe Boisvieux a consacré un chapitre dans son livre Birmanie, la terre d’or. « Rejouant l’épisode de la renonciation au monde du Bouddha, ils paradent, habillés comme des princes, à cheval ou à dos d’éléphant. Puis on ôte leurs vêtements, on leur rase le crâne et ils prennent la robe des moines. En passant ainsi du faste au dépouillement, ils apprennent déjà une suprême leçon d’impermanence », témoigne le photographe.

Pour Christophe, les aventures sont loin d’être terminées. Il accompagne des voyages vers plusieurs grands sites bouddhiques de l’Inde et vient d’apporter la dernière touche à un livre, Perles de sagesse, qui sortira à l’automne. Il comportera de nombreuses citations du Bouddha, dont le sutra de l’amour universel (1), que le photographe aime particulièrement. « Il est très révélateur de l’enseignement du Bouddha. Ce n’est pas évident d’aimer le moustique ou un voisin insupportable, mais on peut s’y efforcer, et c’est un magnifique programme de vie ! », se réjouit-il

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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