Christophe André : Méditer pour découvrir qui on est.

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Dans cette seconde partie de son entretien, le chef de file des thérapies comportementales et cognitives en France détaille les bienfaits de la méditation de pleine conscience.

En quoi consiste exactement la méditation de pleine conscience, dont vous défendez régulièrement la pratique ?

Au départ, la pleine conscience est quelque chose de très simple : c’est se rendre disponible, ouvert et accueillant, curieux de ce qui est là, à l’instant présent, sans jugement, sans attente et sans désir de contrôler quoi que ce soit. C’est une attitude qu’on retrouve spontanément chez les humains, le cerveau est naturellement doté de cette capacité à la pleine conscience, et on peut la toucher du doigt dans des environnements favorables : dans la nature, en observant des nuages dans le ciel ou un feu de cheminée, des vagues… Assez naturellement, notre environnement mental se tourne vers une forme de pleine conscience, où l’on est pleinement présent à ce qui nous entoure. L’ambition de la méditation de pleine conscience est d’autoproduire cet état, où que l’on soit : dans une salle d’attente de dentiste comme dans un arrêt de métro ou à son lieu de travail…

Comment expliquer son succès populaire depuis plusieurs années ?

Le succès de la pleine conscience tient sans doute à trois caractéristiques : c’est d’abord une approche laïque – même si c’est évidemment une pratique d’inspiration bouddhiste -, ce qui a permis son usage dans le monde de la santé et de l’éducation ; elle est ensuite validée par de nombreuses recherches scientifiques – de nos jours, c’est une caution très importante) et troisièmement, c’est ce qui se fait de plus simple en matière de méditation, puisqu’on peut apprendre les rudiments de la pleine conscience en quelques mois. Pour de grands experts de la méditation est, comme peuvent l’être Matthieu Ricard et d’autres connaisseurs des méditations bouddhistes, chrétiennes ou musulmanes, la pleine conscience apparaît un peu comme un truc de débutants… Mais, pour autant, elle est fondamentalement importante, elle est un premier socle de la méditation et favorise une attitude de présence ouverte, qui ne juge pas et qui est consacrée à notre expérience, instant après instant. Elle a pris une place presque « envahissante », aujourd’hui, puisque, finalement, quand on entend parler de méditation dans des milieux non spécialisés, la plupart du temps, c’est de pleine conscience dont il s’agit.

Vous dites que cette méditation est laïque, mais n’en reste-t-elle pas moins adossée à une certaine idée de la spiritualité ?

Elle est un outil laïque dans la manière dont nous l’enseignons. Mais il y a deux choses qu’il faut garder à l’esprit : d’une part, ses racines sont ancrées dans le monde de la religion et de la spiritualité. D’autre part, on constate que la pleine conscience peut amener à plus de spiritualité chez ceux qui la pratiquent régulièrement. À l’hôpital, les patients qui viennent nous voir ne font pas a priori de la pleine conscience un outil religieux ; ce sont des raisons de santé qui les guident : la pleine conscience doit les aider à moins souffrir, moins stresser ou moins déprimer. Pour autant, lorsqu’ils continuent de la pratiquer par la suite – ce à quoi on les encourage -, certains patients nous décrivent des moments de conscience très discrètement modifiés, et d’autres d’appartenance au monde où ils semblent à même de côtoyer des grandes questions propres à la spiritualité, comme la mort, l’au-delà, l’infini, etc. Donc effectivement, la pente naturelle de la méditation de pleine conscience peut être d’aller vers la spiritualité, mais une spiritualité laïque.

C’est pour cela que vous rappelez dans votre dernier livre la nécessité de distinguer spiritualité et religion…

C’est un débat important. La spiritualité n’est pas forcément associée à la religion. C’est un besoin de l’esprit humain, c’est la vie de notre esprit lorsqu’il est confronté aux grandes questions de la condition humaine qui n’ont pas de réponse rationnelle : qu’y avait-il avant que le monde existe ? Est-ce que le monde aura une fin ? Dieu existe-t-il ? Que devient notre esprit après la mort ? Etc. La religion nous apporte des réponses, mais on peut aussi explorer ces questions sans y avoir recours. Le Dalaï-Lama a eu un jour cette très belle formule : « Au fond, la spiritualité est un besoin fondamental de l’esprit humain, comme l’est la soif – tous les corps humains ont besoin d’eau et de spiritualité ». Mais il y a des façons de boire de l’eau, qui sont codifiées et liées à des environnements culturels : vous pouvez par exemple préparer l’eau sous forme de thé. La religion, c’est un peu la même chose : c’est une façon de vivre sa spiritualité selon un certain nombre de codes sociaux et de rituels. La religion est donc à la spiritualité ce que le thé est à l’eau, une autre façon de s’abreuver. Mais ce n’est pas indispensable.

À titre personnel, vous méditez régulièrement ?

Bien sûr, j’en ai besoin, ça me fait beaucoup de bien ; c’est une pratique à peu près quotidienne, je médite en moyenne 20 à 30 minutes le matin, ce à quoi s’ajoutent tous ces moments de pleine conscience de quelques minutes. Dans notre enseignement, on insiste beaucoup sur le fait qu’à chaque moment d’attente ou de transition, plutôt que de regarder le portable ou s’énerver, on peut se poser et prendre conscience… Et il y a aussi les activités faites en pleine conscience : manger, marcher, écouter quelqu’un… Ça, c’est mon quotidien. Quand j’ai des soucis, de santé ou des préoccupations, je « double la dose » :  j’augmente mon recours à ces moments d’apaisement et de discernement que m’offre la pratique méditative, mais je suis encore loin du temps passé par de grands méditants comme Matthieu Ricard ou des moines bouddhistes, qui ont pu pratiquer jusqu’à 20-30-40 000 heures dans leur vie ! Des études scientifiques montrent les modifications dans leur cerveau. Mais, petit message d’espoir : des études nous montrent également que même avec quelques dizaines d’heures de méditation, il commence à se passer des choses, à la fois dans ce que nous ressentons et dans la manière de comprendre le fonctionnement de notre esprit et nos émotions.

Quels sont les bienfaits que vous y trouvez, plus particulièrement ?

Je crois que la méditation va enrichir toutes nos activités ; il finit par ne plus y avoir de séparation entre les moments « normaux » et ceux où l’on médite. En fait, peu à peu, la méditation imprègne nos manières d’être, de faire. Dans l’écriture, par exemple, cela m’aide sur la stabilité de l’attention, sur l’acceptation des difficultés et peut-être aussi sur une meilleure connaissance de mon esprit et sur les pièges que je me tends à moi-même – l’apparition d’un discours autocritique, par exemple.

Un conseil en particulier, pour conclure ?

Dans la méditation, le vrai problème est ce qu’on appelle « l’observance » en médecine. C’est-à-dire la régularité : est-ce qu’un patient prend son médicament tous les jours, ou non ? La méditation, c’est un peu pareil, ce n’est pas quelque chose qui marche une seule fois, pour toujours, c’est mettre en place un vrai changement dans son mode de vie qui doit durer, comme un régime alimentaire ou de l’exercice physique. C’est une forme de médecine finalement – comme la racine du mot « méditation » le rappelle, qui vient de mederi, un substantif qui veut dire « soigner », donner une médication.

« La religion est à la spiritualité ce que le thé est à l’eau, une autre façon de s’abreuver. »

La régularité est le principal enjeu pour tous les néo-pratiquants de la méditation. Le premier conseil que je peux donner, c’est d’abord de savoir que tout le monde rencontre cette difficulté. La vie quotidienne représente une course d’obstacles qui tente de nous faire consommer autrement notre temps que de le consacrer à la méditation, c’est donc un problème universel. Deuxièmement, ne pas se culpabiliser : c’est normal qu’il y ait des moments dans notre vie où l’on médite moins parce qu’il y a des urgences et des difficultés, parce qu’on a perdu un peu la motivation. Dans ces périodes-là, il faut voir comment garder le lien avec la méditation, en instaurant par exemple de petites pratiques informelles, profiter de tous les petits moments où l’on est en train d’attendre et où, sans que ça nous prenne plus de temps, on peut essayer d’appréhender l’attente différemment, en pleine conscience, en méditant un peu sur ce que nous sommes en train de vivre, de ressentir, de penser. Enfin, agir en pleine conscience est un moyen de rester en contact avec la méditation : quoi que nous fassions, le faire de tout cœur, en essayant d’être le plus présent possible à ce que nous faisons.

Tout cela rejoint le grand conseil donné traditionnellement dans l’enseignement de la méditation : plus on progresse, moins il y a de différences entre les moments où l’on fait l’exercice de méditation et les moments où l’on vit. Parce que des tas de moments de notre vie sont accomplis en pleine conscience.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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