Catherine Éveillard La Voie Shambhala : retrouver le courage d’être humain.

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Catherine Éveillard enseigne la Voie Shambhala et la méditation de pleine conscience dite de la « Société Éveillée ». Architecte à la retraite, féministe et écologiste, elle appelle à cultiver la confiance dans notre nature humaine pour accompagner les changements sociétaux immenses qui s’annoncent.

Vous avez rencontré le bouddhisme au Québec, dans les années 1980. Qu’est-ce qui vous a attirée ?

Tout d’abord l’enseignement du maître Chögyam Trungpa Rinpoché. Son interprétation du bouddhisme, en relation directe avec la culture occidentale, m’a immédiatement séduite. Pour lui, le but du chemin n’était pas de s’éveiller pour s’accomplir personnellement, mais de créer une société « éveillée et bienveillante ». À l’époque, cette vision me semblait déjà essentielle.

Il y a 25 ans, vous avez cofondé dans le Limousin Dechen Chöling, le centre européen de la communauté Shambhala. Quelles sont les particularités de la méditation dans votre tradition ?

Quelle que soit l’école, la définition première de la méditation est d’être disponible à soi-même, d’apprendre à être à l’écoute de ses émotions et de contempler ce qui se présente à soi pour décider du cours de son existence. C’est sans doute une chose que les gens faisaient plus naturellement autrefois. Ils avaient plus de temps pour eux et n’étaient pas connectés en permanence.

« Nous avons tous des réponses toutes faites à toutes sortes de questions, des sentiments formatés et superficiels qui masquent notre expérience profonde. »

La méditation est aujourd’hui considérée comme une pratique très « hype », comme le yoga. Pourtant, ce n’est pas une béquille qui sert à arrondir les aspérités de la vie, c’est une expérience qui nous transforme profondément en nous aidant à accepter de regarder les choses telles qu’elles sont. La méditation Shambhala, plus précisément, consiste à renouer avec le courage d’être humain, à ne pas s’évader dans des élucubrations intellectuelles, à rester le plus possible en lien avec ce qu’il se passe, avec les gens tels qu’ils sont, à chaque instant. Cette méthode est semblable à celle des autres traditions : on se concentre sur la respiration et sur le corps pour calmer et rassembler son esprit. Mais dans la Voie Shambhala, appelée la Voie du guerrier, on applique une certaine vision, on cultive un sentiment d’appréciation pour sa propre vie. Si on se rend compte qu’on n’a pas d’estime pour soi-même, on essaie de trouver un point positif comme le fait d’être en vie, d’avoir un corps qui fonctionne, un cœur qui aime, d’avoir des organes sensoriels qui permettent d’être en contact avec le monde. Quand on arrive à s’apprécier soi-même, on devient plus réceptif et conscient de ses qualités et de ses défauts ; on développe alors de l’amitié pour soi-même et on estime les autres de la même façon.

Vous enseignez aux centres culturel bouddhique de Rennes et Shambhala de Paris. Quelle est l’importance de l’écoute dans cette forme de méditation ?

L’autre particularité de la pratique Shambhala, qui est pour moi une voie de méditation sociétale, c’est le partage avec la communauté de méditants. Il permet une expérience de société éveillée et un échange qui se situe presque en deçà de la parole. En partant du silence et de l’appréciation de soi et des autres, on développe une énergie qui permet ensuite d’échanger dans un autre mode que celui de l’agression, de la compétition, de l’ego… La clé, c’est d’apprendre à écouter, une capacité qui nous manque souvent amèrement. Nous avons tous des réponses toutes faites à toutes sortes de questions, des sentiments formatés et superficiels qui masquent notre expérience profonde. Séparer les informations que l’on reçoit sans arrêt et que l’on intègre, même à notre insu, permet de retrouver un temps où l’on s’écoute. Et, souvent, on remarque que c’est en parlant aux autres qu’on s’entend le mieux soi-même.

Ces méthodes ont-elles influencé votre carrière d’architecte ?

Tout cela m’a surtout servi au niveau des relations, qui forment une très grande partie de la profession d’architecte. J’ai beaucoup travaillé avec des coopératives d’habitation, avec des groupes, des particuliers, des associations… À chaque fois, je devais trouver des solutions consensuelles, faire comprendre mes choix plutôt que de les imposer. J’ai travaillé sur de nombreux chantiers, un monde qui se révèle majoritairement masculin, encore aujourd’hui. Il m’a fallu apprendre à parler et à respecter les savoir-faire. Ça a été une expérience humaine très riche.

Au-delà de votre pratique Shambhala, vous vous définissez comme féministe et écologiste. Pourquoi lier ces combats vous semble-t-il primordial pour transformer la société face aux immenses défis qui l’attendent ?

Je crois que ça s’est présenté comme tel. Quand j’étais jeune, j’ai commencé à fréquenter les gauchistes de l’époque. Beaucoup étaient marxistes, maoïstes… Je m’en suis vite éloignée et j’ai commencé à me mobiliser pour les droits des femmes, notamment pour le droit à l’avortement. En tant que femme architecte, je ressentais certainement le besoin de construire un réseau de soutien entre femmes. Quand j’ai rencontré Shambhala, je me suis dit que suivre le bouddhisme, après le gauchisme et le féminisme, ça commençait à faire beaucoup de « ismes » (Rires). J’ai compris que tout cela représentait une seule et même démarche qui, à partir de mon propre processus d’éveil et de conscience, touchait peu à peu tous les cercles de la société dans lesquels j’étais impliquée : la famille, le travail, mon lieu de vie, mes rapports aux autres, les objectifs de solidarité et de justice sociale.

Comment lier l’Éveil et la conscientisation avec les objectifs de changement ? 

La Voie de Shambhala considère que le monde dans lequel nous vivons a un caractère sacré.  La société n’est pas une chose dégradée, mais se révèle être, au contraire, le fleuron de l’humanité. Former une société qui prend soin de tous les êtres, c’est la meilleure chose qu’on puisse faire sur cette planète. Une grande partie de nos problèmes sont liés à un paradigme économique qui nous a rendus incroyablement individualistes. Nous ne le sommes pas naturellement, nous le sommes devenus ! La capacité de refaire du lien en profondeur semble essentielle aujourd’hui pour changer notre attitude par rapport à la Terre, aux êtres vivants et à nous-mêmes. Il existe beaucoup de gens qui n’ont plus du tout confiance dans la nature humaine, et c’est terrifiant. Nous devons absolument retrouver la confiance en notre propre nature.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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