En octobre 2019, vous avez organisé un week-end autour du slogan « Sourire à l’effondrement ». Que préconisez-vous dans ce moment si particulier ?
Ce slogan s’inspire du livre Sourire à la peur du maître de méditation Shambhala Chögyam Trungpa Rinpoché. Tant que l’on se cache nos peurs, on n’a pas de vrai courage. Il faut savoir regarder leurs causes pour rester libres.
Il y a encore quelques mois, l’expression « Sourire à l’effondrement » dérangeait de nombreuses personnes. Car l’effondrement signifie la perte des points de repère, de la sécurité économique… Qui dit effondrement dit devoir se prendre en charge soi-même, sortir de sa zone de confort, vivre sans sécurité absolue, avoir le courage de rencontrer des gens qu’on ne connaît pas, faire des expériences qu’on n’avait jamais imaginées… Avec l’épidémie de coronavirus, on est dans cette situation. La méditation, en tant que travail intérieur, peut nous aider à sourire à la peur. Comme nombre de mes connaissances, j’ai plutôt bien vécu les deux premières semaines de confinement. Mais je remarque qu’au fur et à mesure, ne sachant pas où l’on va, la peur monte. Quand c’est le cas, mon exercice consiste à m’asseoir et à me dire « Oui, j’ai peur ». Je crains ce qui va arriver après. Combien de gens vont être dans la misère, comment va-t-on les aider ? Toutes ces questions me viennent à l’esprit. Le travail pour m’apaiser, c’est de revenir au moment présent, à ce qui est à faire maintenant.
L’épidémie actuelle peut être considérée comme un avertissement en vue d’un effondrement à venir. Comment y faire face ?
Les collapsologues, comme Pablo Servigne – qui a fait un travail remarquable – proposent de s’installer à la campagne et de prévoir le nécessaire pour assurer sa survie. Est-ce que tout le monde sera capable d’assurer une situation de survie en cas d’effondrement ? Je ne pense pas. Mais nous avons tous la capacité de nous relier aux autres, de faire des projets, même à court terme. Nous avons beaucoup d’outils à notre disposition, on ne les utilise pas toujours. Je fais par exemple des groupes de conversation en ligne pour travailler sur des projets à distance et continuer à créer du lien. Faire société, même dans une situation difficile, c’est ce qu’il y a de plus important à l’heure actuelle.
Pablo Servigne affirme « que regarder la réalité en face et cesser de naviguer entre de vagues espoirs de redressement (…) est un soulagement ». Qu’en pensez-vous ?
Je me tiens régulièrement au courant des analyses des spécialistes sur les impacts de cette épidémie, les récessions probables et les crises à venir. Ces analyses sont importantes d’un point de vue scientifique, et c’est probablement ce qui nous attend. Mais je préfère faire face à l’effondrement tel qu’il se présente chaque jour. La collapsologie est déjà un scénario du futur. Or, on ne sait pas du tout dans quel sens la situation peut évoluer. Personne n’avait prévu l’épidémie. Certaines choses peuvent aller très vite, être positives ou au contraire très perturbantes. La vision que je défends, bouddhiste et humaine, c’est de considérer l’effondrement avec lucidité, avec patience et de ne pas se laisser entraîner dans des projections catastrophiques, car l’avenir est toujours ouvert.
Vous vous connectez à d’autres groupes hors de la sphère bouddhique, comme Résistance climatique, pour agir sur le long cours. Pourquoi est-il important de travailler à différents niveaux ?
Il n’y a pas un problème écologique, un autre problème économique et un autre sociétal. Tout va ensemble. Bien que les militants de Résistance climatique puissent être considérés comme des extrémistes, j’apprécie leur point de vue. On se doute bien que d’ici cinq ans, tout le monde n’aura pas arrêté de prendre l’avion. Mais j’aime qu’il y ait des gens qui le disent et l’appliquent.
« La vision que je défends, bouddhiste et humaine, c’est de considérer l’effondrement avec lucidité, avec patience et de ne pas se laisser entraîner dans des projections catastrophiques, car l’avenir est toujours ouvert. »
Il me semble préférable de ne pas rester cloisonné dans un groupe et dans une seule optique, si noble soit-elle, et de lier différentes façons de voir les choses, qui ne sont pas forcément contradictoires. Des gens ont besoin d’être dans le militantisme, d’autres dans la relation humaine. Chacun se mobilise là où il se sent le mieux.
Vous participez également au laboratoire international en ligne « The societal transformation lab », qui propose de ne plus séparer écologie, société et spiritualité.
L’État ou les grandes institutions n’ayant pas de plan de rechange face aux crises sanitaires, économiques ou sociales à venir, nous devons nous-mêmes devenir des agents de changement. En anglais, il existe le mot « leading », que l’on peut traduire par « diriger » ou « se diriger ». L’idée de ce « lab » est d’apprendre à se diriger vers le futur qu’on désire en formant des cercles de travail, dans son pays, avec des connaissances, ou avec des personnes rencontrées sur le web, et en échangeant nos idées, nos ressentis et nos sentiments. La transformation souhaitée prend ainsi racine en nous-mêmes à l’intérieur du groupe et par le groupe.
Dans les cercles de coaching collectif, une personne exprime ses désirs pour le futur et les obstacles qu’elle rencontre. Les autres membres l’écoutent attentivement pour l’encourager à préciser sa pensée et à faire un autre pas en avant. Apprendre à s’écouter soi-même et à écouter les autres est une composante essentielle de notre capacité à vivre et travailler ensemble. Il y a peu, j’avais proposé à mon groupe de visiter des friches urbaines à Paris, aux Grands Voisins ou sur la petite ceinture. Des espaces libres où les gens créent des jardins, des ateliers, des aires de jeux, des espaces d’expérimentation. Après ces visites, nous avons réalisé qu’il était important d’apprendre à se lancer dans des projets expérimentaux, même éphémères ; qu’il s’agissait d’oser innover, d’essayer et de recommencer en reliant nos idées à nos mains et à nos cœurs.
La crise liée à l’épidémie de Coronavirus est-elle une occasion de changer de modèle ?
Bien sûr, tout le monde le dit. Mais on remarque que s’impliquer dans un changement sociétal est très difficile si l’on n’a pas un groupe de support, où l’on peut s’ouvrir complètement aux autres et où chacun peut se trouver lui-même. Cette capacité à rendre des cercles de parole et d’écoute opérationnels est la seule chance que nous ayons pour que la prise de conscience du moment puisse durer.