Ahangamage Tudor Ariyaratne « Notre objectif est l’éveil de tous les êtres vivants par le travail partagé. »

- par Henry Oudin

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Il est convaincu que le modèle qu’il a contribué à mettre en place à l’échelle du Sri Lanka peut constituer une alternative aux principes de développement croissancistes occidentaux. Entretien avec le président de Sarvodaya Shramadana, mouvement qu’il a fondé il y a soixante ans.

Que signifie Sarvodaya Shramadana ?

Sarvodaya est un mot composé dérivé de deux mots sanskrits « Sarvam » et « Udayam » signifiant respectivement « tous  » et « éveil ». Il a été forgé par le Mahatma Gandhi. Shramadana est également un mot composé : « shrama » signifie pensée, effort et ressources, et « dana », partage. Le sens littéral de Sarvodaya Shramadana est l’éveil de tous par le partage de son temps, de ses efforts et de ses ressources. L’objectif de notre mouvement est l’éveil de tous les êtres vivants par le travail partagé. Nous voulons aboutir à une transformation de la société en mettant fin à la pauvreté et aux conflits. Faire triompher la paix dans notre pays, mais aussi entre les pays et dans le reste du monde. Cet idéal peut être mis en pratique partout sur la planète par n’importe quel groupe ou communauté.

Quelle était la situation au Sri Lanka quand vous avez initié ce mouvement en 1958 ?

Quand nous avons démarré nos activités, nous nous sommes rendu compte que, malgré les 450 années de colonisation que nous avions subies au Sri Lanka, dans nombre de villages reculés ou ignorés par le pouvoir, la philosophie bouddhiste était restée vivace. Devenu enseignant, j’ai décidé de consacrer ma vie à aider les plus défavorisés à sortir de la pauvreté. L’injustice économique génère de la pauvreté et un sentiment d’impuissance qui sont à l’origine de la violence. Sarvodaya est né en 1958. J’animais, à l’époque, un groupe d’étudiants de Colombo. J’étais convaincu que nous devions nous inspirer des enseignements du Bouddha et les transcrire dans nos actions en faveur du développement et du bien-être des populations.

Concrètement, comment vouliez-vous agir ?

Nous voulions lancer un mouvement populaire, un mouvement d’éveil des consciences qui se hisse au-dessus de toutes les divisions de races, de religions, de genres, de niveaux socio-économiques. Nous appelions les Sri Lankais à donner, chaque année, dix jours de leur temps pour aider les villages les plus pauvres. Nous nous sommes inspirés des idées énoncées par Gandhi en 1909 dans Hind Swaraj, son manifeste en faveur d’une république de villages autonomes. Seule la consolidation de l’autonomie économique et politique des villages pouvait, à ses yeux, contribuer à l’édification d’une société non-violente. Nous avons commencé par organiser des camps de quelques semaines dans les villages les plus pauvres. S’y retrouvaient des étudiants, des salariés, des fermiers, des fonctionnaires qui donnaient de leur temps et apportaient leurs compétences.

« À Sarvodaya Shramadana, le développement n’est pas mesuré en termes de revenu par habitant, de produit national brut ou de taux de croissance du PIB. C’est une mystification de vouloir rendre riches tous les hommes. »

Notre objectif était de favoriser l’autonomie des villages, de mettre en commun les ressources existantes en mobilisant les villageois au service de leur propre développement. C’étaient les populations bénéficiaires qui concevaient elles-mêmes leurs plans de développement. À la fin des années 1960, nous avons pris conscience que nous ne voulions pas du mode de développement occidental qui commençait à s’étendre au monde entier. À Sarvodaya Shramadana, le développement n’est pas mesuré en termes de revenu par habitant, de produit national brut ou de taux de croissance du PIB. C’est une mystification de vouloir rendre riches tous les hommes. Nous voulons bâtir une société qui ne soit ni riche ni pauvre.

Où en est Sarvodaya Shramadana aujourd’hui ?

Nous travaillons aujourd’hui avec 15 000 villages sur les 36 000 que compte l’île. Les communautés sont encouragées à éveiller leur potentiel par le partage du travail et la participation du plus grand nombre. L’éveil doit intervenir avant tout au niveau des individus, mais aussi du village, de la communauté et de la nation. Les villages sont assistés par 355 centres locaux, 34 centres de districts et 12 instituts éducatifs au niveau national. Ces structures assurent des formations à l’animation et au leadership, ainsi que des formations spécialisées. Nous avons aussi conçu des programmes destinés à accompagner la maternité et la petite enfance. S’agissant du développement économique, nous avons créé un réseau de 300 banques locales qui proposent des microcrédits aux familles. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour favoriser l’autonomie de ces villages, leur émancipation. Une émancipation sociale, économique et technologique, mais aussi et avant tout une émancipation spirituelle. Sans ce travail spirituel, un mouvement non violent comme le nôtre ne peut pas progresser. La paix et l’élimination de la pauvreté demeurent nos objectifs. Nous avons construit une alternative, théorique et pratique, qui propose au monde une autre forme de développement des communautés et des nations. Je suis convaincu que si notre gouvernement et le secteur privé suivaient le plan de développement que nous avons bâti, le Sri Lanka pourrait éliminer la pauvreté d’ici 2025.

Vous insistez sur l’éveil des consciences. Comment contribuez-vous à les éveiller ?

Le développement ne se limite pas à assurer une alimentation décente et une eau propre à la population. Il s’agit aussi d’un travail d’éveil à la compassion, à l’amour et à l’autonomie dans les cœurs. Quand nous donnons de notre temps pour construire une école ou un dispensaire, nous nous construisons aussi nous-mêmes. Nous sommes convaincus que notre mouvement enraciné dans des valeurs bouddhistes et « gandhiennes » peut changer les consciences. Toutes les activités, toutes les réunions que nous organisons depuis près de soixante ans sont précédées d’un temps court de méditation. En 2008, dans la ville sainte d’Anuradhapura, un million de personnes ont médité ensemble. Les racines de la guerre civile que nous avons connue au Sri Lanka ont été plantées il y a 500 ans lors de la colonisation de l’île. Guérir notre pays nous demandera sans doute encore autant de temps

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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