Yvan Beck : La « nature de Bouddha » de l’animal

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Vétérinaire à Bruxelles, Yvan Beck se mobilise pour la cause animale et la protection de l’environnement depuis une quarantaine d’années. Par ses engagements multiformes, il nous exhorte à prendre conscience de l’interdépendance qui relie l’humain, l’animal et le vivant, notamment à travers l’ONG belge Planète-Vie, qu’il préside depuis 1995, mais aussi ses documentaires, comme LoveMEATender qui explore les enjeux de production de viande, du culturel à l’économique, du politique à l’éthique, et ses livres – Ceci n’est pas un dauphin : manifeste pour une reconnaissance juridique du monde vivant, préface de Matthieu Ricard. Depuis 1992, Yvan Beck suit les enseignements de grands maîtres du bouddhisme tibétain.

Que pourrait signifier concrètement une relation bouddhiste à l’animal ?

Avec son animal, un bouddhiste est convié à avoir une relation de respect et d’amour, une relation d’être à être et non de domination. Le bouddhisme nous enseigne que les êtres humains, les animaux et l’ensemble du monde vivant partagent la même nature fondamentale. Les flux de conscience ne sont pas séparés les uns des autres. Une fourmi, une panthère ou un être humain se dirigent de vie en vie, d’expérience en expérience, de réincarnation en réincarnation, vers l’accomplissement de ce but : retrouver la nature de Bouddha. L’animal est donc une prolongation de ce que nous sommes. Dans la vision bouddhiste, les caractéristiques que l’on prête à l’homme s’amoindrissent : la conscience, l’intelligence, l’utilisation des outils, la culture et le lien à la mort se retrouvent partout dans le monde vivant, à des degrés d’expression divers bien évidemment. Les sciences naturelles montrent qu’un nombre incalculable d’espèces, même aquatiques, sont porteuses d’intelligence et de sagesse : les poissons, les poules, les cétacés comme les dauphins, les sociétés d’oiseaux, en particulier, les corneilles, qui sont incroyablement organisées.

Malheureusement, même pour une partie de ma profession, le lien à l’animal est souvent vécu comme celui de l’homme à une « chose ». Si dans le droit, les animaux sont appelés « êtres sensibles », ils restent néanmoins prisonniers de cette catégorie qu’est le « mobilier ».

Votre spiritualité influence-t-elle votre métier de vétérinaire ?

Dans mon cabinet médical, une pièce a longtemps été dédiée à mes pratiques méditatives. Le lieu est donc imprégné d’une certaine atmosphère spirituelle. J’exerce ce métier depuis une quarantaine d’années, et je pense que les gens apprécient l’environnement de calme, d’amour et de paix que nous offrons à leurs animaux dans notre espace de soin. Certains maîtres sont parfois étonnés du comportement de leur animal. Les animaux perçoivent les énergies subtiles, au-delà du corps, comme l’aura des personnes. Ils ressentent si le thérapeute est centré dans une intention d’ouverture et d’amour. Lorsque j’aborde un animal, avant de commencer, je lui formule mentalement et tactilement la possibilité d’entrer en contact avec lui. Parfois, en particulier en ostéopathie, il arrive qu’un animal soit réfractaire. Alors, je propose aux propriétaires que nous refixions un rendez-vous un autre jour, car aujourd’hui, l’animal refuse le contact.

Tous les animaux sont confrontés à la souffrance. Dans quelle mesure en sont-ils conscients ?

Le samsara est un vaste océan de souffrance, nous en faisons tous l’expérience. Comme les êtres humains, les animaux essaient d’échapper au mal-être et à la souffrance en tentant de mettre en place les conditions de leur bien-être et leur bonheur – quand ils vivent en liberté ! Mais une vache, un cochon d’élevage ou une poule dans une batterie n’ont pas d’autre solution que d’être écrasés par ce qu’on leur impose, comme un prisonnier dans une geôle. Les animaux « élevés » en agriculture intensive sont conscients de leur souffrance et de la mort qui les attend avec l’abattoir.

« Les animaux perçoivent les énergies subtiles, au-delà du corps, comme l’aura des personnes. Ils ressentent si le thérapeute est centré dans une intention d’ouverture et d’amour. »

Je prendrai le cas des dauphins, que je connais bien. Dans cette espèce, de nombreux cas de « suicides » ont été observés. Par un acte volontaire, l’animal arrête de respirer ! Ces mammifères sont dotés de capacités cognitives et psychiques étonnantes, et lorsqu’ils se retrouvent captifs, dans un milieu tragiquement inadapté à leurs besoins, ils souffrent de dépression. D’abord, le stress de la capture, la rupture avec leur famille et leurs compagnons de toujours, et ensuite l’impossibilité de se déplacer sur de longues distances, l’eau traitée chimiquement qui les agresse, l’obligation de performer lors du dressage et des spectacles… Tout cela génère de profondes souffrances et des traumatismes sans nom qui les conduisent parfois à mourir volontairement ou à s’infliger des blessures.

Comment abordez-vous la question de l’euthanasie ?

L’acte d’euthanasie, qui revient régulièrement dans mon métier, m’a longtemps posé un problème. Puis, il y a une vingtaine d’années, j’ai effectué une retraite phowa, sous la conduite d’un maître tibétain. Le phowa, qui est transmis par une lignée de maîtres dans le bouddhisme Vajrayana, est une pratique d’éjection ou de transfert de la conscience au moment de la mort. Le bouddhisme incite les humains à entrer dans la mort en pleine conscience, afin qu’au moment du transfert dans les bardos (ces états d’existence entre la mort et la renaissance), ils puissent être pleinement conscients. Il en est de même pour les animaux. L’idéal est de ne pas intervenir et de laisser le processus naturel de la mort se faire. Par contre, s’il y a dans le monde animal de la conscience et de l’intelligence, les niveaux sont inférieurs que chez l’être humain. Pouvoir transcender la souffrance en espérant arriver à un autre état ne fait pas partie du bagage du monde animal. Dans ces cas-là, un acte d’euthanasie peut être posé comme un acte d’amour. Mes patients savent que je ne propose pas facilement l’euthanasie… À partir du moment où j’accepte, c’est que l’animal vit une très grande souffrance.

Votre accompagnement concerne l’animal dans sa fin de vie, mais aussi les maîtres au moment de cet événement délicat et éprouvant…

Oui. Au moment de la séparation, j’invite les propriétaires à voir leur émotion de tristesse, leur chagrin, comme le signe positif d’un bonheur partagé, plutôt qu’à sombrer dans la douleur de la séparation. Dans une civilisation où nous avons sorti la mort de notre vie, la mort de l’animal renvoie souvent le propriétaire à sa propre mort. Pourtant, la vie et la mort sont deux facettes d’une même réalité.

Comment le bouddhisme conçoit-il l’attachement d’un être humain à l’animal ?

L’attachement est un sentiment profondément humain, lié aux peurs et aux désirs – qui sont le socle du fonctionnement chaotique de notre incarnation. Mais nous pouvons aimer nos proches ou nos animaux sans être dans l’attachement. Le but d’une pratique spirituelle consiste justement à atteindre ce niveau d’amour inconditionnel dans lequel nous sommes libres de l’attachement. Il ne faut donc pas confondre amour et attachement. Avec les personnes qui viennent me consulter, si je sens une ouverture, une écoute, j’essaie de renforcer le lien d’amour qu’ils ont avec leur animal. Et parfois de faire en sorte que ce lien d’amour s’étende à tout ce qui est, en ne se séparant pas les choses, mais, au contraire, en les inscrivant dans une interdépendance universelle.

Le bouddhisme est une doctrine de non-violence, et dans cet esprit, propose une alimentation végétarienne. À quand remonte, pour vous, ce choix alimentaire ?

Il y a une vingtaine d’années, au sein de l’association Planète-Vie, j’étais en charge de dossiers traitant de l’élevage intensif. J’ai été profondément choqué par ces pratiques et j’ai cessé de manger de la viande. Ce fut une véritable libération. Aujourd’hui, quand je vois de la viande, je vois un être sensible.

Le message du Dalaï-Lama est clair : il nous invite à prendre nos dispositions et à faire le choix, si notre santé le permet, d’une alimentation végétalisée. Lors d’un congrès tenu en 1967 sur le végétarisme, il déclarait : « Je ne vois pas du tout de raison pour laquelle les animaux devraient être massacrés pour servir un régime humain quand il y a tant de substituts (…) La vie est aussi chère pour une créature muette que pour un homme ». Pour le bouddhisme, le fait de prendre une vie est contraire à son éthique qui repose sur trois préceptes : ne pas faire le mal, pratiquer le bien et œuvrer pour le bien de tous les êtres. Ne pas prendre la vie d’un animal pour se nourrir est aussi une manière de faire le moins d’actions négatives, qui entraîneraient des fruits de négativité. Par ailleurs, nous savons aujourd’hui que la consommation de viande a un énorme coût écologique : épuisement des ressources naturelles, pollution, réchauffement climatique… En 2050, nous serons 9 milliards d’individus, et pour nous nourrir en viande, il faudra 36 milliards d’animaux d’élevage.

Le Mahayana nous enseigne à éveiller notre compassion. Quand savons-nous si notre compassion est réelle ?

Lorsque le jour où nous voyons quelqu’un lancer une pierre sur un chien, nous ressentons la même ouverture de cœur pour le chien que pour celui qui a lancé la pierre !

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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