Vénérable Elisabeth : une pionnière du bouddhisme en France

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Rencontre avec la directrice du centre Kalachakra, disciple de Lama Thoubten Yeshé et moniale française depuis plus de trente ans, adepte d’une approche pragmatique et actuelle du dharma.

Comment avez-vous découvert le bouddhisme ?

C’était en 1973, j’étais étudiante et je me posais des questions sur le sens de la vie sans trouver de réponse. Jusqu’à ce que certaines lectures me fassent découvrir le bouddhisme. Mais à l’époque, il n’y avait pas grand-chose en France. À la fin de mes études, je suis donc partie en Inde avec le souhait d’apprendre à méditer. D’étape en étape, je suis arrivée au monastère de Kopan, au Népal, et, là, j’ai eu l’impression de rentrer chez moi. J’y suis restée cinq ans ; j’y ai étudié le Dharma, rencontré mes maîtres et fait de longues retraites.

Qu’est-ce qui vous a incitée à devenir nonne et à enseigner ?

Devenir nonne est un appel. La vie de famille n’était pas pour moi, j’avais l’impression d’être destinée à autre chose. Quand j’ai vu que des femmes pouvaient prendre des vœux dans le bouddhisme, je n’ai eu de cesse de vouloir prendre cette ordination. Ce que j’ai fait. Les choses se sont ensuite enchaînées naturellement. Au Népal, nous étions une communauté internationale. Nos maîtres ont commencé à être invités par les étudiants qui rentraient chez eux. Étant la seule Française, ils m’ont demandé de faire la même chose et d’organiser des enseignements autour de leur venue. Puis, nous avons commencé à réfléchir à la possibilité de créer des centres ouverts à tous. En créant ces structures en France, je voulais pouvoir traduire le bouddhisme pour un public local. Cela me tenait à cœur, mais le poids des responsabilités, devant les maîtres, la lignée, m’a parfois pesé.

Vous avez créé et êtes la responsable du centre Kalachakra. Pouvez-vous nous en dire plus ?

C’est un centre au cœur de la ville, pour les citadins qui ont une famille, un travail, pas beaucoup de temps, mais qui veulent connaître le Dharma. Nous avons des programmes d’études pour des débutants et les disciples plus aguerris. Nous proposons également des séances de méditation, avec un vocabulaire laïque pour que les personnes soient à l’aise. Nous avons aussi créé un centre de retraite à l’extérieur de Paris. Différentes techniques de méditation y sont enseignées.

Pensez-vous que le fait que ce centre soit dirigé par une femme puisse inciter davantage de femmes à le fréquenter ?

Je ne pourrai pas répondre à cette question. Quand je vais dans d’autres centres, je vois le même nombre de femmes. En général, la spiritualité inspire beaucoup plus les femmes que les hommes.

Comment une personne qui s’intéresse au bouddhisme peut-elle s’orienter entre les différentes traditions en France ?

C’est bien de visiter les différentes traditions et de voir comment l’on s’y sent. Et aller là où l’on peut évoluer sur la voie du Bouddha. Après, il est bien de se stabiliser dans un style d’études. Si l’on picore à droite à gauche, on fait du surplace. Il est important de prendre le temps au départ de bien choisir.

En dehors de la pratique formelle, comment intégrer la méditation dans notre quotidien ?

La pratique et l’étude de la méditation doivent être intégrées à chaque moment de la vie. La méditation est avant tout l’étude du fonctionnement de l’esprit. C’est le sujet de l’enseignement du bouddha. Il est donc important d’étudier les textes et d’examiner à travers ses propres expérience et méditation comment cela se traduit. Puis de corriger ce qui fonctionne mal, ce qui provoque de la souffrance… La méditation, c’est tout ça, pas seulement être assis sur le coussin et observer son souffle.

Beaucoup de personnes qui ont commencé à pratiquer la méditation ont du mal à s’y tenir. Quels conseils pourriez-vous leur donner ?

La rigueur et la discipline sont des qualités qui s’appliquent de manière générale dès qu’un effort et une régularité sont demandés pour réaliser quelque chose. Quand on veut mincir, on fait des exercices tous les jours. Discipliner son esprit relève de la même motivation : vouloir une amélioration, être mieux, plus heureux dans sa vie. Ainsi, on peut méditer le matin, ne serait-ce que dix ou quinze minutes. Et aussi le soir, après notre journée, pour faire le bilan de ce qui s’est passé, voir quelles ont été nos pensées, si elles ont été bienveillantes ou négatives, et comment appliquer les antidotes. Ce sont deux moments cruciaux de la journée.

« La méditation est avant tout l’étude du fonctionnement de l’esprit. C’est le sujet de l’enseignement du bouddha. Il est donc important d’étudier les textes et d’examiner à travers ses propres expérience et méditation comment cela se traduit. La méditation, c’est tout ça, pas seulement être assis sur le coussin et observer son souffle. »

Que pensez-vous de l’engouement actuel pour la méditation et de son utilisation dans le développement personnel ?

Vous voulez parler de la pleine conscience, j’imagine. Je trouve que c’est quelque chose de positif, je ne suis pas du tout anti-pleine conscience. Elle vient d’une technique de méditation bouddhiste et amène de l’aisance et de la sérénité. On peut ainsi voir que la souffrance, comme le bonheur, vient de l’intérieur. C’est un message tout à fait bouddhiste et bénéfique. Reste à savoir ce que l’on en fait, puisque c’est un moyen et non un but. Ainsi dans les entreprises, si les employés sont formés à la pleine conscience pour avoir un meilleur rendement, la motivation n’est pas très positive. Mais si cette méthode permet de diminuer le stress, c’est positif.

Nos sociétés hyperconnectées favorisent la dispersion mentale. Comment la méditation peut-elle nous aider ?

Cultiver l’attention enrichit la méditation, l’étude, la démarche spirituelle en général. Mais la méditation n’est pas qu’une pratique de l’attention : c’est apprendre à se connaître, savoir comment son esprit fonctionne et comment le transformer. L’attention favorise les résultats positifs de la méditation, mais ce n’est pas suffisant. Ce qui est important, c’est de comprendre comment et pourquoi les émotions arrivent, comment elles nous font souffrir ou nous amènent du bien-être.

Beaucoup d’entre nous ont du mal à s’aimer eux-mêmes. Comment le bouddhisme peut-il nous aider à mieux nous aimer ?

C’est un problème typiquement occidental. J’ai rencontré le Dharma auprès de lamas qui n’avaient pas rencontré beaucoup d’Occidentaux, ils ont été très surpris de cela. Dans la culture orientale, on ne rencontre pas ce problème. Dans les enseignements, il est précisé qu’il est important de s’aimer soi-même, sinon il est impossible d’aimer les autres. On peut cultiver cette attitude à travers différentes méditations et se concentrer par exemple sur les qualités que nous offre cette existence. Nous vivons dans un pays en paix, nous bénéficions d’un confort matériel, nous avons rencontré le Dharma, nous pouvons étudier, pratiquer, améliorer nos qualités… Et grâce à cela, nous pouvons atteindre l’Éveil.

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Fabrice Groult

Fabrice Groult est un aventurier, photographe et bouddhiste qui parcourt le monde depuis son plus jeune âge. Après avoir étudié le bouddhisme en Inde, il s'est engagé dans un voyage de dix-huit mois à travers l’Asie qui l'a mené jusqu'en Himalaya, où il a découvert sa passion pour la photographie. Depuis, il a parcouru le monde pour capturer des images de beauté et de sagesse bouddhiste. Il a été guide pendant dix ans, et est aujourd'hui journaliste chez Bouddha News.

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