Se nourrir et nourrir le monde, le journal du Tenzo : le vent du printemps

- par Henry Oudin

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Comment cuisiner et s’alimenter au quotidien tout en réalisant la générosité de l’existence ? Le Tenzo Valérie Dai Hatsu Duvauchelle nous invite à réveiller le goût de notre vie par la pratique de la cuisine de la bienveillance.

Le vent balaye le jardin des oiseaux (1) ce matin. Après une nuit agitée, les premières jacinthes sont couchées et les fleurs du camélia s’accrochent comme elles peuvent. Les dernières feuilles des arbres qui ne tenaient que par un fil s’envolent. C’est le grand tourbillon du printemps qui s’annonce. C’est l’entre-saison, la saison de la terre qui se réveille, mais aussi celle de l’entre-deux. Je suis personnellement toujours perturbée durant cette période et plus particulièrement avant les équinoxes du printemps et de l’automne. Mes humeurs sont instables, ma nourriture également. C’est au Japon que j’ai appris que tout ce que je prenais pour de l’inconsistance émotionnelle était en fait l’expression d’un lien profond avec le cosmos. Cette perception de soi reliée au monde m’a littéralement libérée et j’ai pu constater combien en Occident, nous oublions cette réalité pour mettre chaque « manquement » sur le compte d’une faiblesse de caractère ou pire pour blâmer notre corps fatigué « sans raison ».

Alors rappelons-nous avec bienveillance que toute cette nature qui s’active bouscule, nous bouscule, et c’est tant mieux. C’est le signe du renouveau, d’un réajustement qui nous permet de rester en phase. Et plutôt que de lutter, observons, pratiquons l’écoute de ce corps et apprenons à le comprendre. L’arrivée du printemps crée une baisse d’énergie et appelle la saveur sucrée le temps de ce changement. Autoriser notre corps à s’adapter est acte de bienveillance. On peut aussi l’aider en lui donnant ce qui lui convient en cette intersaison, les premières feuilles, la saveur acide qui réactivera ses fonctions digestives, et lui faire bénéficier de ce qu’offre la nature, la montée de sève des bouleaux par exemple.

Nagori est l’empreinte des vagues laissée sur le sable et le goût de nagori se réfère à « la nostalgie de la saison qui nous quitte. »

Au printemps, pratiquer la cuisine de la bienveillance c’est faire avec la situation, interne et externe, pour trouver la justesse, dans le silence, de son assise. Il peut sembler surprenant de découvrir ce dont notre corps a besoin dans l’espace silencieux de notre être plutôt que dans des livres de diététique, et pourtant, c’est le moyen le plus efficace de reconnecter avec notre sagesse intuitive de « médecin-cuisinier ». On pourra néanmoins approfondir ce ressenti par des diététiques holistiques, et le Yakuzen (2) rejoint bien l’intuition générée par l’écoute profonde.

Oryoki (3) de l’intersaison selon les principes Yakuzen

Avec l’arrivée du printemps, on réveille la circulation des fluides corporels et on épure le sang. On privilégie la couleur verte et le goût acide, mais sans excès. On active toute la fonction digestive et on garde des éléments chauds. Ainsi, en accompagnant la fonction régénérative du foie, on active l’énergie vitale du Ki.

Les oryoki au goût nagori de l’hiver :

Nagori est l’empreinte des vagues laissée sur le sable et le goût de nagori se réfère à « la nostalgie de la saison qui nous quitte » (3).

1er bol : du boulghour à cuire dans 2,5 volumes d’eau puis à laisser gonfler ensuite 5 minutes.

2e bol : quelques feuilles de chou kale, dont on retire les tiges et que l’on masse avec un peu de citron et de sel pour l’attendrir. Une poignée de pois chiches cuits que l’on mélange dans un peu d’huile, de sirop d’agave et de sauce soja, et que l’on fait rôtir au four pendant 15 minutes à 190 degrés (mélanger toutes les 5 minutes). On ajoute quelques morceaux de poire Conférence mûre à point et l’on termine par quelques cerneaux de noix de Grenoble. Pour la sauce, on prend un peu de vinaigre de noix, une touche de miso brun, du vinaigre de vin rouge et on rectifie selon son goût.

3e bol : on râpe une betterave simple ou tigrée à la mandoline pour préserver son merveilleux dessin, on glisse les tranches dans un sac congélation que l’on saupoudre d’un peu de sel et on le presse sous un poids. Quand elles ont dégorgé, on les presse et on les assaisonne d’un peu de jus d’orange, d’une pointe de vinaigre et de quelques zestes pour la couleur.

Une fois notre repas servi, on prend le temps de la contemplation :
– Je regarde tous les efforts et l’énergie nécessaires pour que cette nourriture parvienne jusqu’à moi.
– Je considère ma manière de vivre pour savoir si elle honore dignement ce cadeau de la vie.
– Je vois combien cette abondance tranche mon avidité et ma colère.
– Je reconnais cette nourriture comme mon meilleur médicament.
– Je contemple cette nourriture dans la joie de voir ma vie s’activer grâce à elle

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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