Pablo Servigne et Philippe Cornu : collapsologie et émotions

- par Henry Oudin

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Deuxième volet du dialogue entre le collapsologue, Pablo Servigne, et le spécialiste du bouddhisme, Philippe Cornu, sur nos émotions face à la « peine écologique ».

Le deuxième sceau énoncé par le Bouddha est le suivant : « Toute émotion est souffrance ». En quoi cette vérité permettrait-elle de nous libérer de la souffrance inhérente à l’effondrement ?

Philippe Cornu : Les émotions ne sont ni bien ni mal. C’est l’attachement aux émotions qui est problématique. Le bouddhisme identifie trois poisons : attraction, répulsion et indifférence (dans le sens d’ignorance). Les facteurs conditionnants sont ainsi source de souffrance. Toute action faite avec une motivation liée à ces trois passions de l’esprit va conditionner notre manière de penser. C’est ce que l’on nomme le karma. Si, par exemple, on commence à réagir à tout avec colère, la colère sera de plus en plus spontanée, créant une aliénation de notre esprit. Ce qui est source de souffrance. Il faut accepter ses émotions. Comment ? Via la méditation. L’éthique est essentielle pour éveiller l’esprit.

Pablo Servigne : Cela me fait penser au reproche que l’on adresse, à nous, les collapsologues : « Mais arrêtez de vous complaire dans toutes ces émotions négatives ! » Joanna Macy, au contraire, nous dit : « Bienvenue la peur. Viens, on va s’asseoir autour d’un thé et passer un long moment ensemble ». L’émotion diminue alors tout en restant présente. Si on la met sous le tapis, elle nous revient dans la figure.

« Bouddha a dit : « Si vous vous piquez avec une épine, vous éprouvez de la douleur. Mais si, en plus, vous réagissez à cette douleur, c’est comme une seconde épine ». Il faut simplement accueillir ce qui se passe. » Philippe Cornu

Philippe Cornu : Si on la met sous le tapis, c’est une manifestation de l’ignorance. La peur est un épouvantail. Si on l’affronte, si on la traverse et que l’on va jusqu’au bout du tunnel, on verra la lumière.

Pablo Servigne, vous consacrez un chapitre d’Une autre fin du monde est possible à la question des émotions et vous écrivez qu’il « faudra se forger un moral d’acier pour traverser les tempêtes à venir ». Comment surmonter « la peine écologique » ?

Pablo Servigne : Dans ses ateliers d’écopsychologie, Joanna Macy a mis en place une spirale qui se décline en quatre principales étapes. La première est la gratitude. Chaque participant ouvre son cœur et s’ancre dans cette gratitude. Deuxième stade : on plonge dans les ombres, on honore la peine et toutes les autres émotions. Chaque participant va alors déposer sa peur, sa tristesse, son désespoir, sa colère, etc. On accueille et on composte en quelque sorte collectivement. Cela fait un bien fou et des liens très forts se nouent entre les participants. Ces rituels autour de la souffrance soudent d’ailleurs les communautés humaines depuis des milliers d’années. Cela touche au sacré dans la relation, l’empathie, la réciprocité. C’est quelque chose qui nous dépasse. C’est même religieux, au sens de « religare ». La troisième étape de la spirale consiste à faire un pas de côté et, enfin, la quatrième, à aller de l’avant. Cet atelier aurait-il à voir avec le bouddhisme ?

Philippe Cornu : Oui, dans le sens où Bouddha a dit : « Si vous vous piquez avec une épine, vous éprouvez de la douleur. Mais si, en plus, vous réagissez à cette douleur, c’est comme une seconde épine ». Il faut simplement accueillir ce qui se passe. Et désamorcer le côté illusoire de croire à l’émotion et de s’en saisir. Car nos émotions, nos pensées aussi, sont comme des représentants de commerce qui veulent nous vendre des histoires ! Quand on médite, on regarde ces émotions et ces pensées pour ce qu’elles sont : une vague d’énergie.

Vous faites référence, dans Une autre fin du monde est possible, à « l’espoir actif » tel que le conçoit Joanna Macy. En quoi cela permettrait-il, là aussi, de nous libérer de la souffrance face à l’effondrement ?

Pablo Servigne : La dimension bouddhiste de Joanna Macy a été un déclic pour moi. Quand nous amenons le mot catastrophe en conférence, il y a tout de suite des gens qui sont dans l’optimisme, l’espérance. Mais il y a aussi des gens qui voient dans l’espoir une posture d’attente (esperar signifie, en espagnol, attendre). Attendre… que le sauveur trouve une solution. Ce côté passif de l’espoir est insupportable et nous fait sortir du moment présent. Joanna Macy écrit dans Active Hope : « Jamais je n’aurais cru consacrer un livre à l’espoir, puisque pour les bouddhistes, ce mot est lié à la peur et nous sort de la posture du ici et maintenant ». Ce qu’elle nomme « l’espoir actif », c’est de faire maintenant ce qui nous semble juste et que l’on veut voir advenir. Quelles que soient nos chances d’y arriver. Il n’y a, là, nulle attente.

Philippe Cornu : En Occident, on a toujours l’impression que l’on est actifs. Or, selon les bouddhistes, nous sommes passifs à l’émotion puisque nous sommes sous son emprise. C’est elle qui dirige notre action.

Pablo Servigne : Et cela ne revient pas à ne rien faire. C’est cela que les gens ne comprennent pas. Quand on leur parle de l’effondrement, ils veulent tout de suite agir dans l’urgence. Calmez-vous ! Il faut d’abord se poser, ressentir, réfléchir.

 

Suite et fin du dialogue prochainement sur Bouddha News…

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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