Perla et Jean-Louis Servan-Schreiber : #ResterChezSoi #Sérénité

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Dans cette période inédite de l’histoire de l’humanité, de nombreuses personnes sont angoissées, voire paniquées, à l’idée d’être confinées ou contaminées, ainsi que leurs proches. Comment y faire face ? Propositions de Perla et Jean-Louis Servan-Schreiber.

Jean-Louis Servan Schreiber : Dans des situations critiques, un des moyens puissants d’échapper à l’inévitable stress est de penser à tous ceux qui, autour de nous, ont moins de chance que nous et d’essayer de les aider ne serait-ce que par un appel téléphonique. Dans une circonstance où l’on est incité à l’isolement et au confinement, les autres sont plus sensibles que jamais à tous les signes que l’on pense à eux et les écoute. De nos jours, on peut le faire, au moins un peu. Pendant les guerres, ce qui faisait du bien aux soldats était la distribution du courrier de leurs proches. De nos jours, nos moyens de présence à distance sont autrement puissants.

Perla Servan Schreiber : Mes conseils en période de confinement : méditer, cuisiner, écrire, parler à ses proches avec zoom, multitplier les FaceTime à plusieurs.

Avec le temps… 

Bouddha news vous propose de découvrir un chapitre du dernier livre de Jean-Louis Servan-Schreiber, Avec le temps…  Extrait (chapitre 16, « Mes valeurs ») :

« C’est devenu une rengaine : « Nous vivons des temps sans repères, où les valeurs traditionnelles se sont estompées, sans être remplacées par de nouvelles. » Formule creuse, car il est impossible à quiconque de vivre sans repères ni valeurs. Reste à savoir si ces dernières sont positives ou toxiques, altruistes ou égoïstes. Je reconnais que beaucoup des valeurs ambiantes de ma jeunesse ont mal résisté aux changements du monde.

Ces dernières nous venaient en direct du XIXe siècle : foi chrétienne pour les uns, ferveur républicaine pour d’autres, croyance aux lendemains communistes qui chantent pour une solide minorité. Au lendemain de deux guerres atroces, n’était-il pas naturel d’être patriote, social-démocrate, militant des droits de l’homme ? On n’était pas encore féministe, mondialiste, abolitionniste de la peine de mort, champion de la liberté sexuelle ou anticolonialiste résolu. Là étaient les chantiers de ma génération : faire tomber ces barrières, desserrer ces carcans. Le job a été fait, souvent dans la fièvre, la révolte et même des guerres (Indochine, Algérie), mais c’est ainsi que nous sommes passés, avec retard, du XIXe au XXe siècle. Notre société ainsi modernisée est incontestablement plus libre, plus tolérante, plus ouverte, mais aussi plus individualiste.

En ce XXIe siècle, l’espace moral et social autour de moi me rappelle le bocage normand dont on a abattu les nombreuses haies pour créer des surfaces cultivables. La nouvelle étendue semble soudain bien vide en attendant que les nouvelles plantes aient eu le temps de pousser. Car les valeurs collectives se sont historiquement affaiblies, du fait que leurs sources traditionnelles devenaient obsolètes. Une certaine morale était transmise par les religions, la foi dans le futur par les idéologies, les règles collectives par des principes civiques que l’école n’ose plus transmettre.

Pour autant nous ne vivons pas dans une société de sauvagerie anarchique. Même s’il est souvent pris en défaut, le respect de l’autre, de son intégrité comme de ses biens, fonctionne à peu près en Europe. Nous n’éprouvons pas le besoin de sortir armés, comme certains Américains ou nos aïeux d’il y a deux siècles. Preuve en est que les incivilités, les insultes sexistes ou racistes, les atteintes aux biens sont dénoncées par les médias et réprimées, plus ou moins bien, par la police et les juges. Pour la sécurité et la solidarité, mieux vaut vivre en France que dans l’immense majorité des nations de la planète.

Alors où est le problème ? Qu’est-ce qui nous manque ? De l’idéal, du sens, du dépassement de soi, des raisons de ne pas se contenter d’un environnement à peu près confortable où les médias, devenus nos directeurs de conscience, s’emploient surtout à aiguiser nos pulsions consommatrices.

Pour ma part, je ne regrette nullement le temps où les valeurs étaient dictées de l’extérieur, par d’autres humains supposés investis d’un pouvoir pour dire le vrai et le bon. Qu’ils aient été prêtres, politiciens ou militaires, on a enfin compris qu’ils n’étaient que des individus comme nous, trop souvent peu regardants sur les principes. Pas étonnant que la confiance en toute forme d’autorité ait fortement chuté. Je vois mal comment cette dernière pourrait remonter, car la société continuera longtemps encore à former des fonctionnaires du profit, plutôt que des moniteurs de civisme républicain.

Après une guerre, les valeurs collectives remontent en flèche. D’où l’élan généreux qui, dans les années qui ont suivi 1945, a amené la création des systèmes de santé et de redistribution, enviés dans tous les pays qui en sont encore loin. Ne seraient-ce que les États-Unis. Mais vivre en paix n’étonne plus personne, chacun est retourné à ses petites affaires, en les trouvant quelquefois étriquées.

Comme tous les jeunes gens, j’ai commencé par croire aux discours ambiants sur ce qui pouvait donner plus de sens à ma vie. J’ai vite trouvé le catholicisme désuet. Politiquement, à quinze ans, j’étais mendésiste mais ce dernier a fait long feu. J’ai été reconnaissant à de Gaulle de nous avoir débarrassés de la tragédie algérienne et du poids des colonies, tout en créant des institutions stables. Mais comme le taguaient les soixante-huitards, on ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance ni en pâmoison devant un fonctionnement démocratique normal. Toutefois je n’ai jamais perdu de vue que cette normalité-là, mal partagée sur la planète, demeure un privilège.

Les valeurs qui m’habitent, qui me font agir sont intériorisées par le mimétisme et l’expérience. Globalement, elles ne me sont pas singulières puisque je les ai puisées dans le patrimoine moral judéo-chrétien et dans l’humanisme, dont mon Europe natale a été le creuset. Mais chacun a son ordre de priorité. Une seule pour moi revêt un caractère sacré : la vie, son respect absolu concernant mes frères et sœurs humains, et autant que possible pour le reste du règne animal, donc vivant.

Au reste, j’essaie de pratiquer ce que j’attends des autres, même si ces derniers à l’occasion me déçoivent. Mais pas au point de me faire renoncer à mes convictions. Je constate que mon surmoi veille à ma fiabilité : faire ce que je dis, tenir mes engagements, ne pas mentir. Si je valorise à ce point la fiabilité pour moi et les autres, c’est que j’ai besoin pour vivre à l’aise de pouvoir faire confiance, de compter sur ceux avec lesquels je suis en rapport. Ce qui m’a amené à préférer ne pas promettre ce que je n’étais pas sûr de pouvoir tenir.

Dans mes principes éducatifs, puisque j’ai la chance d’avoir enfants et petits-enfants, la voie de la fiabilité est l’exemple. Je ne me suis pas privé de formuler des interdits avec les plus jeunes, puis seulement des conseils au fur et à mesure qu’ils devenaient plus responsables. Mais je savais que mes actes, ce qu’ils observent de mes comportements porterait bien plus que mes paroles. Lorsque j’essaie de préciser ce qui me vient de ma mère ou de mon père, je me souviens de quelques principes exprimés. Pour ma mère : « Noblesse oblige », pour mon père : « Il est plus facile de prendre sur soi que de prendre sur les autres ». C’était suffisamment allusif pour que j’en fasse mon propre mix, mais je ne les ai pas oubliés.

Mes parents m’auront légué davantage par ce que j’ai pu observer de leurs actes. Ma mère était exigeante et passionnée, mon père malin et bonhomme. Les deux, par chance, étaient aussi aimants et donc tolérants. Il me semble que j’ai dû faire passer à mes jeunes plus de valeurs paternelles que maternelles. Mais c’est eux qui pourront le dire quand ils en seront à l’âge des bilans… dans longtemps. Que je le veuille ou non, je suis exemplaire pour les autres, en bien ou en mal.

On n’est jamais parfait ni entièrement méprisable, ni saint ni démon, seulement humain. C’est à cela que je pense de plus en plus me rapprocher autant que je le peux d’un humanisme simple, en étant un bon compagnon de vie pour ceux qui m’accompagnent dans mon parcours. Je crois que le meilleur héritage que je pourrai leur laisser ne sera pas matériel, mais moral. On disait de mon père qu’il avait le goût des autres, de ce fait il était aimé par ceux qui l’approchaient. Qu’ambitionner de mieux pour moi-même ? Je suis de plus en plus conscient que toute parole échangée avec les autres, tout geste dont ils pourront se souvenir laissera une trace, même inconsciente, en eux. Chaque jour je continuerai à tisser le souvenir que je laisserai autour de moi. Imaginer que plus tard ils penseront à moi en souriant m’est doux au cœur. »

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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