Marie-Stella Boussemart : « Le Bouddha n’a jamais remis en question la capacité intellectuelle des femmes. »

- par Henry Oudin

Publié le

Il y a 2500 ans, le Bouddha admit des femmes parmi ses disciples. Aujourd’hui, la question féministe est sur toutes les lèvres. Jusqu’à quand va-t-on devoir parler d’égalité des sexes et célébrer, chaque 8 mars, cette journée internationale des femmes ? Ancienne présidente de l’Union Bouddhiste de France, Marie-Stella Boussemart se livre sur ce sujet. Hommes, femmes, mode d’emploi selon le bouddhisme.

Le bouddhisme et le jaïnisme sont les deux premières religions du monde à avoir admis les communautés religieuses féminines. Sait-on ce qui a incité le Bouddha à prendre ce virage révolutionnaire à son époque ?

Le Bouddha a toujours souligné que la condition humaine était particulièrement favorable pour évoluer, et il a enseigné à tous de manière semblable sans s’arrêter aux considérations de genre, de naissance ou de caste. On souligne habituellement que les cinq premiers disciples du Bouddha, ses compagnons d’ascèse, étaient des hommes mais la première communauté féminine a été fondée environ trois ans après celle des moines, ce qui n’est pas un grand laps de temps. D’un autre point de vue, la première auditrice du Bouddha aurait été sa propre mère – une femme.

Le Bouddha n’a jamais remis en question les capacités intellectuelles ou spirituelles des femmes, mais à l’époque comme d’ailleurs encore aujourd’hui, la condition masculine s’avèrait plus propice. Tout simplement pour des raisons sociales, parce que les femmes étaient et sont opprimées ou mises sous tutelle, et que de fait, sur ce plan, elles rencontrent plus d’obstacles.

Pragmatique, le Bouddha a listé huit situations facilitant la pratique, comme le fait d’être un homme, mais aussi d’être riche, d’être issu d’une famille puissante, d’être doté de beauté, etc. Dans nos sociétés, c’est toujours aussi vrai : il vaut mieux être beau, jeune, riche et en bonne santé… (rire) Et, si, aujourd’hui encore, il y a plus de maîtres hommes que de femmes, c’est parce que les pratiquants bouddhistes sont partie prenante de la société. On ne peut pas dissocier les deux. Il est important de noter que le maître n’est pas désigné par une autorité de tutelle, mais choisi par le disciple. La surreprésentation des hommes vient donc du fait que la plupart des gens préfèrent se tourner vers des hommes.

Dans le bouddhisme tibétain, on évoque souvent le rôle du bodhisattva Tara, qui fit le vœu d’obtenir l’Éveil dans un corps féminin. Peut-on la considérer comme une figure féministe du bouddhisme ?

Dans la sphère tibétaine, Tara a beaucoup d’importance. Dans la sphère chinoise, on évoque plutôt Guanyin (Kannon en japonais) qui est un aspect féminin d’Avalokeshvara. Dans le Mahayana et le Tantrayana, il existe beaucoup de figures féminines.

Quoi qu’il en soit, attention : il n’y a pas de combat social dans le bouddhisme ! Faire le choix de ce type d’engagement est tout à fait honorable, mais c’est une décision personnelle. Le bouddhisme est une voie vers l’Éveil, il propose donc une perspective plus large que les questions culturelles et sociétales. Pour un pratiquant bouddhiste, la seule solution consiste à sortir du samsara, non à le transformer ! En tant que citoyenne, je suis féministe, mais en tant que bouddhiste, dans ma pratique quotidienne, ces questions n’ont pas de sens, conformément aux enseignements du Bouddha, qui, je le répète, ne fait aucune distinction de sexe.

Pourtant, le Bouddha a soumis les nonnes à la subordination des moines…

Il faut contextualiser : pour qu’une communauté religieuse féminine puisse s’émanciper et s’intégrer à la société, elle ne pouvait pas s’affranchir entièrement des codes de l’époque au risque d’être mise au ban. Il est primordial de distinguer la pratique du bouddhisme, personnelle, et son existence au sein d’une société. Par contre, en ce qui concerne la carrière sociale, il est évident que les hommes sont privilégiés. Cela persiste hélas en France au XXIe siècle, dans la politique, l’industrie, le sport et bien d’autres domaines. C’est un problème culturel, non le fait du bouddhisme.

Selon le Vinaya, les moines observent environ 217 règles et les nonnes 311. Pourquoi ce surplus de règles ?

C’est au fur et à mesure des expériences sur le terrain et des questions posées par les religieux ou des tiers que le Bouddha a édicté des règles à suivre. Dans le Vinaya, l’historique de chaque règle est en principe mentionné. Il semble que les cas soumis au Bouddha ont plus souvent concerné les nonnes que les moines. Pour des raisons culturelles et parfois anatomiques. Certaines règles ne concernent pas les moines. Par exemple le port obligatoire ou non d’un soutien-gorge, les protections menstruelles, etc. Ce n’est pas la volonté du Bouddha de s’emparer de ces sujets, mais il a fallu les trancher, avec le souci de ne pas inutilement choquer la bonne société.

« En tant que citoyenne, je suis féministe, mais en tant que bouddhiste, dans ma pratique quotidienne, ces questions n’ont pas de sens, conformément aux enseignements du Bouddha, qui ne fait aucune distinction de sexe. »

À mon avis, il ne faut pas s’arrêter aux chiffres, mais les mettre en perspective. Et là, je dois dire que je ne comprends pas toujours certains preux chevaliers engagés dans une croisade féministe. Il est exact que des femmes bouddhistes, notamment des nonnes, se heurtent trop souvent à des comportements machistes, que je n’ai personnellement pas connus. J’ai eu de la chance ! Toujours est-il que je regrette que certains bouddhistes occidentaux se laissent aller à taxer le Bouddha de misogynie, au lieu de chercher rationnellement les raisons des différences faites entre les moines et les nonnes. De manière générale, oui, c’est une bonne chose qu’il y ait des lois sociales et plus de protection pour les femmes, mais cela reste des cataplasmes. Le bouddhisme propose un autre type de remède, plus radical, et non sexué.

La question de l’ordination des nonnes semble poser problème dans le bouddhisme tibétain. En 2007, lors du Congrès de Hambourg, le Dalaï-Lama a déclaré que « la situation des nonnes est parfois terriblement injuste (…) Nous devons introduire l’ordination complète des nonnes dans la tradition tibétaine. »

J’aimerais avoir le contexte complet de cette déclaration (1). À titre personnel, j’ai surtout le souvenir que le Dalaï-Lama a alors dit que, si cela lui était possible d’introduire l’ordination majeure dans la tradition tibétaine, il le ferait avec joie et sans hésiter, mais qu’il n’en a pas le pouvoir. À mon humble avis, cette revendication est un faux problème. Il n’y a aucune obligation à avoir reçu l’ordination monastique complète pour progresser sur la voie et devenir Bouddha. Ni pour enseigner le bouddhisme. En revanche, il est exact que c’est nécessaire pour briguer des titres tels qu’abbé de monastère. Mais cela me semble relativement secondaire. Cela dépend évidemment ce qu’on veut faire.

Pour comprendre la situation, mieux vaut avoir une vue d’ensemble. Du vivant du Bouddha, il y avait un seul Vinaya, avec les différents degrés d’ordination, tant pour les femmes que pour les hommes. Ensuite, au fil du temps, plusieurs traditions de Vinaya (Règle monastique) sont apparues, toutes complètes et cohérentes. La plupart ne se sont pas maintenues et il en reste aujourd’hui trois. Sur les trois, seul le Vinaya répandu dans la sphère chinoise (qui inclut la Corée, le Japon et le Vietnam) a conservé tous les degrés d’ordinations féminines. Le Vinaya répandu dans la sphère tibétaine (qui inclut le Bhoutan, le Népal et la Mongolie) a maintenu l’ordination mineure. Le Theravada (Asie du Sud-Est) a conservé les ordinations de laïques, mais pas de nonnes.

Autrement dit, aujourd’hui, une femme bouddhiste occidentale qui souhaite entrer dans les ordres et ambitionne de recevoir l’ordination majeure, en a la possibilité dans les communautés chinoises, coréennes ou vietnamiennes. Pas japonaises pour des raisons historiques : persécution du bouddhisme au XIXe siècle. Pas non plus dans les communautés de la sphère tibétaine ou du Theravada, également pour des raisons historiques : les lignées ont été interrompues, et dans le bouddhisme, une lignée interrompue ne peut pas, ou très difficilement, être restaurée. Quant à mélanger les différents Vinayas, c’est un peu vouloir le beurre et l’argent du beurre, et surtout jouer aux apprentis sorciers.

Puisque le sexe du pratiquant ne rentre pas en compte dans la voie menant à l’Éveil, comment expliquer que cette thématique « féministe » soit devenue une question récurrente dans certaines communautés bouddhistes, à l’image de l’action de l’association internationale des femmes bouddhistes Sakyadhita ? (2)

J’ai une vive sympathie pour ce mouvement, mais j’ai l’impression qu’il se trompe en partie de combat. Une sympathie et un soutien, car, effectivement, militer pour la cause des femmes mérite d’être fait. Parce que donner aux femmes, notamment dans les pays bouddhistes, un accès à l’éducation et à l’instruction est une priorité. En revanche, laisser entendre que le Bouddha se serait parfois comporté de manière misogyne, là, je ne suis pas du tout d’accord ! Que des hommes bouddhistes se comportent en machos, sans doute. Que les pays d’Asie n’aient pas des cultures traditionnellement féministes, c’est vrai. Mais ce n’est pas si différent dans les autres parties du monde. Cela tient aux poisons de l’esprit (ignorance, attachement, aversion) qui sévissent en tous les êtres du samsara, y compris les religieux. Mais cela ne tient certainement pas à une volonté discriminatoire de la part du Bouddha

Photo of author

Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

Laisser un commentaire