Comment avez-vous découvert le bouddhisme ?
Mon chemin avec le bouddhisme a commencé fin 1989, alors que mes copains étaient à l’université. Faire des études ne m’intéressait pas, je savais que je ne trouverais pas là des réponses aux questions qui me torturaient : qu’est-ce qu’être conscient ? Qu’est-ce qu’être un humain ? Et c’est ainsi que je suis parti en Inde. La voie terrestre étant à l’époque interdite aux Britanniques, j’ai pris un billet d’avion, un aller simple, sans bagage. J’avais l’intention d’y passer quelques mois pour découvrir la méditation et le bouddhisme. Mais dès les premiers enseignements et la première assise en méditation, j’ai eu l’impression de découvrir de l’eau dans le désert. J’avais trouvé ma voie. J’ai tout de suite compris que j’allais y consacrer ma vie.
Sur place, comment s’est déroulée cette première rencontre ?
Mon tout premier contact a eu lieu à Dharamsala, là où résident le Dalaï-Lama et une partie des Tibétains en exil. J’y ai suivi un cours d’introduction au bouddhisme et à la méditation donné par un indien qui avait pratiqué au sein de plusieurs lignées bouddhistes dans des monastères au Japon, Népal et Sikkim et qui avait aussi pratiqué Vipassana (2). J’ai également passé plus de deux ans en Inde avec un maître qui vivait en ermite dans l’Himalaya. Je suis resté avec lui à pratiquer dans la montagne.
À quelle école êtes-vous rattaché ?
À aucune en particulier. Tous les enseignants que j’ai suivis étaient eux-mêmes assez « iconoclastes », peu conventionnels. C’était le cas par exemple d’Ajahn Buddhadasa (3) en Thaïlande, qui ne se revendiquait pas d’une tradition ou d’une lignée en particulier et qui se focalisait sur comment pratiquer le dharma, l’enseignement du Bouddha, en vue de se libérer de la souffrance et réaliser l’Éveil là maintenant dans cette vie, en laissant chacun libre de faire ses propres erreurs et choix. Il n’y avait pas beaucoup de règles. Dans ce cadre, peu importaient les rituels, les croyances, les tenues de moine, etc. En avance sur l’époque, il transmettait déjà une vision écologique qui prenait racine dans le bouddhisme.
Dans les années 90, j’ai vécu dans l’Himalaya puis dans les Pyrénées, sans électricité, ni radio, ni télé. Je n’avais pas accès aux informations et au « monde » au sens habituel du terme, mais il me suffisait d’ouvrir la fenêtre pour avoir accès au monde qui m’entourait.
Ma pratique est donc enracinée pour l’essentiel dans la tradition Theravada, mais je n’oserais pas dire que je représente cette tradition. Cela ne serait pas respectueux, car le Theravada comporte des éléments rituels et culturels que je n’utilise pas quand j’enseigne. Si un bouddhiste Theravada sri-lankais ou thaïlandais se trouvait parmi nous, il ne reconnaîtrait pas son école. Quand je dirige des retraites et accompagne des élèves dans leur pratique, je mets d’abord l’accent sur leur capacité à s’éveiller à ce qui se passe là, dans l’immédiat. Et, ensuite, sur leur possibilité de faire évoluer leur compréhension et leurs façons d’agir dans le monde. Le terme bouddhisme vient de bodhi, qui veut dire éveil, donc pour moi cette voie, c’est « l’éveillisme », c’est-à-dire s’éveiller à ce qui est, à la réalité vécue dans l’instant présent. Je suis, comme mes propres maîtres, fidèle à l’essentiel de l’éveil, plutôt qu’à une lignée ou école.
Votre enseignement est-il basé essentiellement sur la méditation ?
La pratique formelle, de base, du bouddhisme est la méditation. Il s’agit ensuite de l’appliquer à chaque moment de la vie. J’entends souvent : « J’ai pratiqué ce matin ». Je réponds alors : « Et cet après-midi ? ». Comme si la pratique se faisait uniquement dans la posture de méditation ! La transformation d’une existence ne peut pas seulement s’accomplir grâce à la méditation du matin. Elle dépend de la manière dont ce qui a été compris, dans la méditation, est ensuite exprimé et actualisé tout au long de la journée. C’est une continuité.
Pourquoi avez-vous décidé d’enseigner ?
Mon maître m’a expliqué qu’il fallait trois piliers dits d’autorité pour enseigner. Le premier est l’autorité donnée par le maître qui voit si son élève possède la maturité nécessaire dans la pratique et la capacité d’enseigner. Le deuxième pilier est l’autorité intérieure : le disciple examine son expérience et ses connaissances du bouddhisme. A-t-il vécu ou pas une réelle transformation grâce à la pratique ? Possède-t-il une profonde compréhension du dharma, la capacité de l’expliquer et l’aptitude de se mettre au service des autres, pour leur bien ? Enfin, le troisième est l’autorité donnée par ceux qui écoutent l’enseignement donné par cet étudiant. Sont-ils prêts à suivre les conseils qu’il leur donne ?
En ce qui me concerne, ces trois piliers ont été réunis en 1999. Mon maître m’avait alors invité à l’accompagner dans une retraite de méditation de dix jours au sein de sa communauté. À la fin de la session, il a dit aux personnes présentes : « Si vous avez trouvé les conseils et les enseignements de Martin utiles, alors invitez-le à venir donner des enseignements chez vous ». C’est ainsi que j’ai commencé à transmettre à mon tour, et que je suis arrivé en France où je me suis installé en famille. Quand je vivais en Asie, je faisais parfois des séjours à Londres, j’y avais rencontré mon épouse, et nous avions une fille, née en Inde. Ma femme voulait l’élever en Europe. J’aimais, quant à moi, l’isolement des ermites. Nous avons donc cherché un lieu qui réponde à nos souhaits. Et c’est ainsi que Tapovan fut créé en 1995 et que dans cet endroit, une communauté s’est développée pendant dix ans. Faute de place, nous avons ensuite déménagé, ici, en Dordogne.
Le bouddhisme vous éloigne-t-il du monde ?
Cela dépend de ce qu’on entend par le « monde ». Dans les années 90, j’ai vécu dans l’Himalaya puis dans les Pyrénées, sans électricité, ni radio, ni télé. Je n’avais pas accès aux informations et au « monde » au sens habituel du terme, mais il me suffisait d’ouvrir la fenêtre pour avoir accès au monde qui m’entourait. Il y a différentes façons de concevoir le monde. Pour moi, c’est surtout celui de l’expérience, il est ce qui est perçu par les cinq sens, mais aussi par le mental. On ne peut donc pas être complètement retiré du monde. J’ai connu une période classique, dans la société, les vingt premières années de ma vie. Puis j’ai vécu quinze ans d’une vie très simple et frugale. Aujourd’hui, j’ai une vie très engagée, j’enseigne aux quatre coins du monde, j’accueille des gens au Moulin, j’enseigne sur Internet, etc. Le bouddhisme est pour moi une pratique d’éveil à ce qui est là, à chaque instant, « sensoriellement », émotionnellement, mentalement. Il permet une telle intimité avec l’expérience, qu’au lieu de réagir habituellement aux circonstances, celle-ci devient de plus en plus libre, sage, claire, compassionnelle et utile aux autres et au monde