L’ours bleu du Tibet

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Rencontre improbable avec un pseudo-Yeti… et mes démons intérieurs.

Près de Manigango, petite ville du fin fond du Tibet oriental existe un lac sacré appelé Yihun Latso. Alors que j’effectue un voyage de « reconnaissance » accompagné d’une Tibétaine, une nomade de l’Amdo qui m’aide à trouver des informations auprès de son peuple, je décide d’en faire le tour. Le lac est magnifique, des pierres mani (1) émergent de la surface de l’eau. C’est un des endroits les plus inspirants qu’il m’ait été donné de voir au Tibet. Nous passons un gué qui mène vers le camp de base d’une montagne. Le niveau de l’eau nous le permet tout juste. Puis nous arrivons à un ermitage connu des locaux, habité par un moine qui se fait ravitailler de temps à autre par les bonnes âmes d’un village situé à dix kilomètres. Mais à partir de là, il n’y a plus de chemin, simplement une forêt qui s’étend à flanc de falaise devant nous. On monte, on descend…

Une rencontre du 3e type

Kyi Tso, ma guide, me conseille de rester dans les hauteurs, j’écoute et obtempère. La forêt est touffue, j’enlève mon chapeau, range mon boîtier photo dans mon sac et me courbe pour écarter la broussaille. C’est alors que nous entendons un grognement. Je rassure ma compagne inquiète : « un chien de berger évidemment… » Quelques secondes plus tard, sur une plateforme rocheuse, un animal monumental arrive vers nous, au galop. « Nom d’un chien », me dis-je, mais c’est un ours ! » Mes mains cherchent à tâtons mon appareil photo afin d’immortaliser la rencontre. « Nom d’un ours », me dis-je à nouveau, « il court vers nous, il nous attaque ! » À partir de ce moment, mes souvenirs sont très vagues.

J’oublie la photo et me retrouve les bras en l’air à hurler à tue-tête. L’ours fait une première fois demi-tour, puis revient à la charge. À trois reprises, nous l’effrayons de manière spontanée et inspirée, sans réfléchir, en criant, gesticulant et en croyant notre dernière heure venue. L’ours nous laissant quelques secondes de répit, je regarde les jambes de Kyi Tso qui tremblent comme je n’ai jamais vu des jambes trembler. Sans perdre de temps, nous parlementons sur la tactique à adopter pour en sortir vivant. Je veux rebrousser chemin pour ne pas aller sur le territoire de l’ours. Kyi Tso, elle, décrète qu’il faut continuer tout droit. Les secondes défilent. Je finis par lâcher prise au moment même où j’entends, derrière nous, un gros grognement. Ni une ni deux, nous détalons et courrons comme des fous jusqu’à la route. Là, nous faisons du stop pour rentrer au village de Manigango.

Mise en perspective

Un peu plus tard, je me repasse mentalement la scène. L’ours n’était pas un ours noir – l’ours à collier du Tibet -, avec son V sur la poitrine. Mes recherches me font découvrir la présence dans la région d’un ours brun, d’un grizzli, appelé ours bleu de l’Himalaya ou « Dom gyamuk » par les Tibétains (2). Celui-ci, de deux à 3 mètres de haut, peut peser jusqu’à 550 kg et serait en partie à l’origine du mythe du Yeti. Extrêmement rare, il n’y en aurait que quelques centaines, voire peut-être seulement quelques dizaines d’individus, on ne le sait pas trop. Certains pensent même qu’à l’état sauvage, ils ont tous disparu. Je peux vous assurer que non.

Nous avions cru vivre une attaque par un ours adulte, alors que ce n’était qu’un jeune animal désireux de jouer avec nous.

Plus tard, j’eus la confirmation de sa présence dans la région alors que je visitais le monastère de Dzongsar et son école de philosophie. Sous un préau se trouvaient quatre énormes yaks empaillés avec, à leurs côtés, un ours bleu lui aussi immortalisé, faisant presque la même taille que les yacks. En repensant une fois de plus à la scène que nous avions vécue, j’ai compris que nous avions été « attaqués » par un jeune qui voulait jouer avec nous, car sa taille ne dépassait pas celle d’un homme. Les grognements que nous avions entendus au moment de nous enfuir étaient probablement ceux du papa ou de la maman ours que nous n’avions pas eu la « chance » d’apercevoir.

Quoi qu’il en soit, une chose est sûre, je suis bien content d’être en vie pour raconter cette histoire, même si je n’ai pas d’image pour l’illustrer. Et, surtout, j’en ai retiré un enseignement qui m’aide au quotidien : nous avions cru vivre une attaque par un ours adulte, alors que ce n’était qu’un jeune animal désireux de jouer avec nous. Il importe donc de combattre nos démons intérieurs et nos peurs afin de voir plus clair dans les situations que nous expérimentons.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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