Les horizons perdus. C’est un titre superbe, que le romancier James Hilton donne, en 1933, à son plus célèbre ouvrage. L’intrigue suit un fonctionnaire de l’Empire britannique, Hugh Conway. Il disparaît vers l’Afghanistan avant de réapparaître, un an et demi plus tard, bouleversé et amnésique, dans un monastère tibétain à l’est de la Chine. Un de ses compatriotes recueille alors son témoignage alors que Hugh Conway retrouve la mémoire.
Nous ne raconterons pas l’intrigue plus avant, pour vous laisser le plaisir de (re)découvrir ces Horizons perdus – livre par ailleurs adapté au cinéma par Frank Capra en 1937. Ce qui importe est que James Hilton venait d’inventer le nom d’un lieu aussi magique qu’intemporel, Shangri-La, où son héros avait séjourné.
Shangri-La est décrit comme un monastère tibétain, magnifique, inaccessible, au cœur des étendues les plus secrètes du nord de l’Himalaya, probablement les monts Kunlun (1). On y accède par un sentier dérobé, semblant plonger littéralement dans un précipice. Au cœur de cette vallée dite de la Lune bleue, surplombée par une gigantesque montagne en forme de pyramide, règne un climat tropical qui permet de faire vivre une communauté prospère, nourrissant une cinquantaine de « lamas » sous la houlette d’un moine chrétien. Ces sages ont une particularité : leur existence peut se prolonger de plusieurs siècles, même s’ils ne sont pas immortels.
Shangri-La, cité de sérénité
Le lieu abrite également une importante bibliothèque, que ses occupants enrichissent régulièrement des publications spirituelles les plus inspirantes, écrites par l’humanité au cours des siècles. Tout lien avec l’extérieur n’est pas rompu, il se trouve toujours un voyageur égaré, ou un sherpa décidé, pour amener de nouveaux textes ou visiteurs. Ces derniers peuvent ainsi accéder à la sagesse et au bonheur tout en vieillissant moins vite… Mais le prix à payer est de ne plus en partir. Que l’un d’entre eux fuie cet endroit, et son âge réel le rattrape, le transformant en vieillard puis en momie.
James Hilton avait rêvé Shangri-La comme d’un lieu hors du temps, réservé à une poignée d’initiés, permettant de conserver intactes toutes les sagesses de l’humanité.
Depuis la publication des Horizons perdus, réputé le premier livre de poche à devenir un best-seller, Shangri-La a connu de nombreuses versions. James Hilton s’est probablement inspiré des écrits de la Société théosophique (2) et des récits des premiers missionnaires chrétiens en Chine, au XVIIe siècle, pour créer ce lieu imaginaire. Plusieurs auteurs ont cependant laissé entendre que cette histoire pouvait recouvrir quelques aspects de réalité. La recherche de monastères secrets au Tibet, les « beyul », a une longue histoire, qui a permis d’écrire de nombreux livres, notamment à propos du royaume de Shambala (3). Le nom de Shangri-La, synonyme de sérénité, a aussi été donné à la résidence d’été des présidents des États-Unis (la villégiature a depuis été rebaptisée Camp David) comme à une chaîne d’hôtels et à une compagnie d’aviation en Asie.
Dernièrement, le pouvoir chinois s’est approprié le mythe. Le vieux village tibétain de Gyalthang (en chinois Zhongdian, province du Yunnan), qui abrite un très important monastère bouddhiste, a été renommé Shangri-La et reconstruit à neuf. L’objectif est de le transformer en complexe touristique permettant d’attirer des foules de curieux. Personne ne sait ce que James Hilton en aurait pensé, lui qui avait rêvé Shangri-La comme d’un lieu hors du temps, réservé à une poignée d’initiés, permettant de conserver intactes toutes les sagesses de l’humanité