Économiser pour prendre sa retraite plus tôt, se contenter de peu pour vivre et savoir en profiter au maximum… Que son objectif soit spirituel, philosophique ou écologique, au XXIe siècle, le frugalisme (1) a le vent en poupe. Aux États-Unis, il prend la forme de l’« early retirement » : des individus arrêtent de travailler pour se consacrer à des activités et plaisirs simples. En France, le Mouvement Colibris, fondé par Pierre Rabhi, parle de « sobriété heureuse » et incite à moins consommer. Au Japon, un courant de pensée découlant du Mahayana zen et du taoïsme, le wabi sabi, prône humilité, détachement et bienveillance. L’un de ses représentants, un jeune moine bouddhiste, auteur et blogueur très en vogue, Koike Ryûnosuke, assure dans un livre Éloge du peu : « Avec ou sans argent, je suis heureux ». Cette nouvelle forme de consommation rejoint l’enseignement du Bouddha qui, rappelle Marie-Stella Boussemart, nonne de l’école Gelugpa, « a toujours prôné la voie du milieu et formellement déconseillé les comportements extrêmes. »
Sobriété et méditation
Adopter un mode de vie frugal signifie faire de nouveaux choix. Ce dont témoignent ces pratiquants qui ont changé d’existence pour se consacrer à la pratique. Le président de l’association Dhagpo Kagyu Ling (Dordogne), Jean-Guy de Saint-Périer, 57 ans, a par exemple plaqué son métier d’ingénieur et un salaire de 3000 et 5000 euros par moi pour « consacrer du temps à l’étude, à la méditation et à l’activité bénévole ».
Lama Namdak, lui, a d’abord pratiqué la frugalité quand il était moine. Ayant rendu ses vœux en 2007, actuellement administrateur de Dhagpo Kundreul Ling, en Auvergne, il subsiste désormais, à 58 ans, grâce au soutien financier de sa famille, de ses amis et des dons qu’il reçoit en tant qu’enseignant… Sa compagne allemande, Lama Jungné, ancienne nonne, mène elle aussi, à 48 ans, une existence simple : « Si on voulait plus d’argent, il nous faudrait un salaire fixe, du coup on aurait moins de temps pour se consacrer au travail sur l’esprit ».
« Les possessions, il faut s’en occuper : ça prend du temps et ça crée des soucis. L’attachement au matériel peut obnubiler l’esprit. » Lama Jungné
Selon Alexis Lavis, philosophe et spécialiste de la pensée chinoise et indienne, « la frugalité correspond au mode de vie du moine bouddhiste, tout entier consacré à la pratique méditative. » Marie-Stella Boussemart ajoute que « bien que la voie subitiste du Chàn/Zen et la voie progressive des autres bouddhismes aient des approches sensiblement diverses, les qualités de frugalité et de sobriété, au sens large, sont fortement recommandées par les maîtres bouddhistes de tout temps, depuis le Bouddha aux maîtres contemporains. »
Une soif jamais assouvie
Pourquoi la sobriété ? Selon Koike Ryûnosuke, « le plaisir représente l’interprétation d’une situation de moindre souffrance. Nous souffrons quand nous ne possédons pas un objet, mais le plaisir ressenti en se le procurant ne dure que le temps de l’appropriation. » Jean-Guy de Saint-Périer abonde dans ce sens : « Cette pulsion de base, c’est ce qu’on appelle « la soif » dans cette tradition. Dès que notre cerveau trouve quelque chose qui nous promet un plaisir quelconque, on veut croire qu’y accéder va apporter un bonheur durable. Mais on remarque très vite qu’après l’avoir obtenu, il y a, à nouveau, rapidement un besoin de « nouveau », « d’encore », affirme l’ancien ingénieur, qui raconte avoir été fasciné par les belles voitures dans sa jeunesse. « Un jour, j’ai eu celle dont je rêvais, mais cela ne m’a pas comblé et au bout de quelques semaines, je voulais un coupé cabriolet… Cette soif est valable pour tous les objets du désir, qu’ils soient matériels, relationnels, affectifs, intellectuels ou d’accomplissement personnel. » « C’est comme boire de l’eau salée, on n’est jamais rassasié », illustre Lama Namdak.
Valérie Duvauchelle, pratiquante zen depuis 2000, considère la frugalité comme étant « une conséquence de la pratique. Il y a à rentrer dans la confiance de l’abondance de l’existence par l’ancrage, par l’assise. Cela calme notre psyché et nourrit notre esprit. De la même manière, l’ancrage suppose, en mangeant, de se concentrer sur les textures, les couleurs… De plus, cela aide à maintenir un lien avec l’éthique. » Lama Jungné précise : « Globalement, ma consommation, au sens large, doit occasionner le moins de nuisances possible pour les animaux, la nature, les producteurs. »
Ainsi, de l’avis de tous, nul besoin d’accumuler les biens matériels pour ressentir la prospérité. De plus, « les possessions, il faut s’en occuper : ça prend du temps et ça crée des soucis. L’attachement au matériel peut obnubiler l’esprit », explique Lama Jungné. Jean-Guy de Saint-Périer se souvient encore du jour où il a retrouvé sa voiture rayée par des clés. « Tous les matins, je me demandais ensuite ce qu’on m’avait encore fait. Une fois vendue, je me suis senti léger, car je n’avais plus à m’en préoccuper. » Dans cette optique, Valérie Duvauchelle considère que « si on se met vraiment dans la posture du mendiant qui reçoit la vie, on est profondément rassasié. Par conséquent, on achète moins, on consomme moins. On rentre naturellement dans la justesse. » Une attitude que tous, bouddhistes ou pas, peuvent adopter finalement