« L’île de Shikoku est la plus petite et la moins peuplée de l’archipel japonais, mais elle possède l’une des attractions touristiques majeures du pays du Soleil-Levant : une route de 1200 kilomètres, le Shikoku Henro ou pèlerinage des 88 temples, qui unit 88 sanctuaires bouddhistes. Le sentier asiatique présente de nombreuses similitudes avec le chemin de Compostelle. Mais à la différence de l’itinéraire culturel européen, le Camino de Santiago japonais est circulaire. Il commence au temple de Ryozenji, se termine à celui de Okubo-ji, et s’effectue dans le sens des aiguilles d’une montre. Comme sur les routes jacquaires, les pèlerins sont dotés d’un carnet, nommé nokyocho ou shuincho, qui sera tamponné dans chaque temple.
Jumelé avec la voie espagnole depuis 2015, le chemin de Shikoku présente une autre similitude avec son homologue galicien : leurs origines respectives semblent remonter à 1200 ans. L’histoire débute au VIIIe siècle et évoque l’un des personnages légendaires du Japon. Kukai (plus connu sous le nom de Kobo-Daishi) naît sur l’île de Shikoku en 774. Moine, calligraphe, homme de lettres, d’art et expert en travaux publics, il fonde la secte bouddhiste Shingon pour dispenser les connaissances du bouddhisme ésotérique reçues en Chine.
Kobo-Daishi, « le grand diffuseur de la loi »
Le Mikkyo, proche du Vajrayana, d’origine indienne, désigne l’enseignement secret de l’école de celui qui sera crédité du titre posthume de Kobo-Daishi, « le grand diffuseur de la loi ». Si l’on pense que le bouddhisme, venu du royaume de Baekje de la péninsule coréenne, aurait été importé au pays du Soleil-Levant en l’an 538, Kukai a systématisé la transmission de cette philosophie au peuple. Le pèlerinage de Shikoku relie en boucle les 88 lieux sacrés de l’île dans lesquels Kobo-Daishi aurait approfondi sa connaissance des enseignements de Siddhartha Gautama.
« Le chemin de Shikoku est une route qui unit 88 sanctuaires bouddhistes. »
Marcher sur une si longue distance dans une nature luxuriante, sur les traces d’un être si spirituel, découvrant au détour du chemin les statues du Bouddha et les temples qui gardent son empreinte, constitue l’un des moyens de reprendre contact avec le sacré, de réfléchir à soi-même et de se rapprocher de l’état de satori, ou éveil spirituel. Les marcheurs de Shikoku déambulent tout de blanc vêtus et chapeau conique en paille sur la tête. Ils sont ainsi reconnaissables et accueillis comme des pèlerins par la population, qui peut leur offrir repos, boissons et nourriture gratuitement.
Quatre dojos pour atteindre l’Éveil
Le Shikoku Henro devient populaire au XVIIe siècle. Le moine bouddhiste Yûben Shinnen rédige le guide Shikoku henro michishirube, publié en 1689 et détaillant les 88 temples du circuit. Les quatre préfectures de l’île divisent l’itinéraire en quatre dojos (ou lieux de la pratique). La préfecture de Tokushima désigne le Hasshin-nodojo, chemin du réveil spirituel, et englobe les temples de 1 à 23. Celle de Kochi, le Shugyo-nodojo, lieu de la pratique ascétique (temples 24 à 39). Celle de Ehime, le Bodai-no-dojo, chemin de l’illumination (temples 40 à 65). Enfin, celle de Kagawa porte le nom de Nehan-no-dojo, lieu du Nirvana (temples 66 à 88).
L’équipement du pèlerin
S’il n’existe pas de règle stricte quant à la tenue et les accessoires du pèlerin, on considère que le minimum nécessaire se compose d’un bâton, du carnet de pèlerinage, d’une tenue blanche et d’un chapeau conique en paille sur la tête. On dit du bâton qu’il est l’incarnation du créateur du Shingon. La veste blanche (hakui) représente la pureté. Autrefois, la mort des pèlerins en cours de route n’était pas rare : le blanc symbolisait aussi l’habit du mort. Le bâton était planté en guise de stèle funéraire sur le lieu du décès. Le carnet, tamponné ou calligraphié, atteste de son passage dans un temple. Le pèlerin pourra insérer dans les urnes des sanctuaires des étiquettes portant ses nom, adresse ou un vœu, et les donner à des personnes lui offrant un cadeau.
L’osettai, cette hospitalité à l’égard du pèlerin vêtu comme un ohenro-san, s’avère l’un des faits les plus marquants de cette expérience. Les villageois lui serviront à boire et à manger, ou lui proposeront un endroit où se reposer. Attention, là comme ailleurs, sévissent les « faux pèlerins », qui profitent de la générosité des autochtones sans véritable motivation.
On peut compléter la panoplie d’une étole (wagesa), d’une cloche pour la récitation des soutras (jirei) et d’un chapelet de prière (juzu). Il est possible de s’équiper dès le premier temple. »
Extrait du Guide des chemins de pèlerinage du monde de Fabienne Bodan
(Éditions Ouest-France, 2018)