Lama Düdul Dorje : « Le tantrisme, une voie de transformation. »

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Intronisé lama dans la lignée tibétaine Drikung Kagyü, dont il anime le centre à Paris, Bernard Ortega, qui a reçu le nom de Düdul Dorje par son Éminence Togdan Rinpoché, au Ladakh, est aussi un maître tantrique. Il nous explique cette voie ardue du bouddhisme tibétain et nous propose d’autres chemins plus simples vers l’ouverture du cœur.

Le tantrisme est à la mode. Pourquoi cela et comment se définit-il dans le bouddhisme Vajrayana ?

Dans l’imaginaire collectif, le tantrisme est une voie d’épanouissement sexuel incarnée par les Yab Yum, ces statues de couples enlacés qui ont tant choqué les chrétiens du temps de leur découverte. Aujourd’hui, un grand nombre d’hommes et de femmes se font berner par la promesse de se rabibocher grâce au tantrisme censé réveiller leur libido. Ils le confondent d’ailleurs souvent avec le Kamasutra, ce recueil hindou de conseils de vie conjugale. C’est une grossière illusion ! Le Yab Yum symbolise en réalité l’unité, qui est l’inverse de la dualité, qui nous sépare de l’autre. Le tantrisme est une voie de transformation radicale, qui conduit à la non-dualité totale. Il est la plus haute marche vers la compassion absolue. On associe au tantrisme une énergie vitale très puissante. Mais quand cette énergie – la kundalini – est dépouillée de sa dimension spirituelle, elle est pervertie. Si la sexualité existe bien dans le tantrisme en tant que pratique de méditation, celle-ci est tellement complexe et puissante qu’elle n’est accessible que pour de rares pratiquants hautement confirmés.

Comment êtes-vous arrivé au tantrisme ?

Ce n’est pas moi qui suis allé vers le tantrisme, mais lui qui est venu à moi. J’ai eu cette chance de rencontrer les plus grands maîtres du bouddhisme tibétain et de recevoir quantité d’initiations et d’enseignements – plus d’une cinquantaine – essentiels à cet Éveil spirituel. Qu’est-ce qu’une initiation ? C’est un rituel qui dépose en nous l’empreinte des divinités. En tant qu’être ordinaire, je ne peux pas aider grand-monde. En recevant l’initiation, je me transforme symboliquement en cette divinité ; j’acquiers la possibilité de manifester ses qualités pour développer ma capacité à aider les êtres à ne plus s’identifier à leurs souffrances. Quand je récite un million de mantras de Vajrapani – l’un des huit grands bodhisattvas du bouddhisme tantrique considéré comme le protecteur des protecteurs -, je ne le fais pas dans l’idée d’un défi personnel ou d’une performance visant à renforcer mon ego, mais avec la motivation d’atteindre cette compassion absolue, d’aider tous les êtres, même si c’est très difficile. Le tantrisme n’est pas un « truc » de dilettantes, c’est un chemin de transformation qui exige une juste motivation, du temps, de la connaissance et de la pratique.

Est-ce justement parce que le tantrisme est ardu que vous proposez d’autres pratiques menant à l’Éveil ?

Je pense que dans notre monde impatient, chercher à atteindre l’Éveil est une chimère souvent bien intellectuelle. La plupart des gens confondent « savoir » et « être ». Ce n’est pas en s’informant d’un clic pour connaître la définition d’un Éveillé qu’on en devient un. Si l’on veut aider les autres, il faut d’abord être authentique et ouvert plutôt que de se fixer l’objectif de devenir un bouddhiste assidu aux rituels. Il n’y a, au préalable, rien à comprendre, il y a à ressentir. D’où l’intérêt de proposer des pratiques permettant de voir plus clair en soi, d’apaiser ses émotions perturbatrices et d’ouvrir son cœur. Comme la méditation sur les souffles doux (Tsa loungs) ou la récitation du mantra du Bouddha de la compassion, Tchenrezi, qui incarne l’énergie bienveillante et adoucit notre esprit. Je pratique aussi beaucoup le Dzogchen, basé sur nos énergies reliées aux cinq éléments (la terre, l’eau, le feu, l’air et l’espace) parce qu’il invite à travailler avec sa propre condition, c’est-à-dire avec son corps, sa respiration et son énergie. On y lâche le mental.

Le Dzogchen est-il spécifique à votre école de bouddhisme Drikung Kagyü ?

Non, le Dzogchen existe dans toutes les écoles. Namkaï Norbu était un très grand maître Dzock Chen, et il m’a remercié quand je lui ai dit que j’enseignais ces pratiques dans mon centre. On dit que le Bouddha a traduit 84 000 enseignements pour 84 000 esprits différents. C’est dire si, en tant qu’enseignant, il faut être flexible et à l’écoute de chacun ! Cet enseignement dont je m’inspire peut-être pratiqué par tous les êtres quand ils aspirent en toute sincérité à mieux se connaître et à gérer leurs émotions. Il n’y a pas de dogme et c’est ce que j’apprécie. Dzogchen signifie « le miroir », cet objet qui montre les choses telles qu’elles sont, dépouillées des projections que nous réalisons. On ne crée pas de films. Il y a des personnes que la pratique fait fuir tant elles ont triché avec elles-mêmes ; le miroir leur fait peur. Celles qui y adhèrent sont prêtes à ce travail de vérité, prélude au rééquilibrage de leurs énergies.

Mais alors qu’est-ce qui caractérise le Drikung Kagyü ?

Kagyü signifie la voix, la résonnance, la parole. Notre école rattachée à la lignée des Kagyupas offre un chemin spirituel limpide et direct où les mantras (pouvoir du son) sont importants ; je propose également de découvrir et pratiquer les mantras thérapeutiques au nombre de cent – cela peut vraiment soulager, mais c’est un travail constant, nous ne sommes pas à Lourdes ! La méditation est aussi très présente et surtout « accessible ». Comme le travail sur « milam » le yoga du rêve.

« Si vous n’avez pas la chance de rencontrer des êtres grands comme des montagnes – comme le sont les maîtres tibétains -, alors, allez rencontrer la montagne ! »

Le fait de méditer était autrefois tellement important dans la région de Drikung, au Tibet central, qu’on manquait de grottes pour y accueillir tous les yogis ! Pour autant l’érudition et l’analyse des textes n’étaient pas négligées. Ce qui est toujours le cas aujourd’hui. Mais je dirais que le plus important, au-delà des subtiles spécificités de chaque chapelle, c’est l’ouverture du cœur. Que nous importent en France et en Occident les nuances des écoles du bouddhisme tibétain, liées à la culture et à l’histoire de ce peuple ? Que nous importe la controverse des Karmapa qui ébranle depuis dix ans la lignée karma kagyupa ? Cessons d’être dans l’intellectuel et dans le mental ! C’est ce que mon maître, Togdän Rinpoché, recommande. Tournons-nous plutôt vers la compassion qui est le fait d’avoir conscience de la souffrance des autres et le souhait de les aider à s’en libérer.

Quels conseils donneriez-vous pour atteindre ce degré de conscience ?

Il ne faut pas être modeste, ce qui signifie qu’il ne faut pas renoncer à croire en ses facultés, mais humble. Si vous n’avez pas la chance de rencontrer des êtres grands comme des montagnes – comme le sont les maîtres tibétains -, alors, allez rencontrer la montagne ! Là où la nature est forte, comme dans les hauteurs du monastère tibétain Lamayuru et de sa grotte de Naropa, à 3500 m d’altitude. On y prend la mesure de toutes choses. Allez vers le beau, le puissant, ce qui vous dépasse et faites le silence. Et arrêtez de vouloir être « tranquille ». Il faut donner une vraie dimension à sa vie. Retrouver du sens à ce quotidien aliénant. On ne trouve la vérité qu’en repoussant ses limites.

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Fabrice Groult

Fabrice Groult est un aventurier, photographe et bouddhiste qui parcourt le monde depuis son plus jeune âge. Après avoir étudié le bouddhisme en Inde, il s'est engagé dans un voyage de dix-huit mois à travers l’Asie qui l'a mené jusqu'en Himalaya, où il a découvert sa passion pour la photographie. Depuis, il a parcouru le monde pour capturer des images de beauté et de sagesse bouddhiste. Il a été guide pendant dix ans, et est aujourd'hui journaliste chez Bouddha News.

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