Hyeon Jeong Lim : la musique ou le rubato de l’âme

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D’origine coréenne, Hyeon Jeong Lim est une pianiste virtuose exceptionnelle qui se produit dans le monde entier. Inspirée par sa rencontre avec de grands maîtres bouddhistes coréens, en particulier le Vénérable Seongdam Sunim, la jeune femme rêve de « grand large », « là où les notes transmettent amour et compassion, tout comme Jésus ou Siddhartha l’enseignaient avec des mots simples susceptibles de toucher les plus humbles ». Hyeon Jeong Lim est l’autrice de l’ouvrage Le son du silence (Albin Michel, 2016).

« Entendre, sentir, respirer par les notes le souffle divin. Tel est mon désir de toujours », écrit la pianiste Hyeon Jeong Lim. Née en 1986, elle a grandi dans une famille marquée par les séquelles de deux guerres. Sa sensibilité d’enfant se cogne très tôt au mur de souffrance de son père, qui est aussi celle de « tout un peuple ». Sa mère, pratiquante bouddhiste, par « ses gestes-protection », « sa voix-tendresse », sera son « tout », sa « force ». Avant sa naissance, sa mère a un « taemong », un rêve prémonitoire : « Le destin de l’enfant fera écho hors de la Corée ». Cette vision sera confirmée par un médium.

Lim apprend le piano à l’âge de trois ans, auprès d’une professeure sévère. Mais qu’importe, le piano devient son « refuge », son « espace de liberté ». À l’école, dans une rédaction où on lui demande d’imaginer sa vie dans trente ans, l’écolière écrit : « Je serai une pianiste reconnue dont les parents seront fiers. J’aurai enregistré l’intégrale des sonates ». Adolescente, elle rêve d’entrer au Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Elle veut jouer Rachmaninov, Brahms, Schumann… Si sa mère la soutient, son père s’oppose à son départ, mais finit par céder après la consultation d’un sage. Lim a juste douze ans lorsqu’elle s’envole pour la France, un pays où – pense-t-elle – « les gens vivent dans des châteaux, se déplacent en carrosses, les filles ont des cheveux jaunes, un nez long et des yeux bleus ». « Cette naïveté m’a donné des ailes pour franchir le pas. » Mais, à son arrivée, elle rencontre des épreuves : la femme qui l’accueille la décourage et ses camarades de classe se moquent d’elle en ridiculisant sa culture qui leur est trop étrangère. Incapable de se défendre, sans mots, elle se retire en elle-même. Et, encore fois encore, la musique la sauve. « Je m’accrochais à une seule chose : à la lumière du piano. » Son professeur du conservatoire de Compiègne, Marc Hoppeler, croit en elle, au point de demander son transfert dans un cours supérieur, lui permettant de présenter le diplôme final, et cela seulement cinq mois après son arrivée : « Je n’avais plus qu’un seul désir, celui d’être à la hauteur, de ne pas décevoir son estime ».

Deux ans plus tard, elle entre au Conservatoire de musique de Rouen. « Assoiffée de romantisme », elle tombe amoureuse de la Sonate de Liszt. Mais sa professeure refuse qu’elle la travaille pour ses examens, car elle la pense « trop jeune ». Lim, qui se sent prête, se battra corps et âme : « Cette sonate, c’était toute ma vie. Je dormais, mangeais, respirais avec elle ! » D’autres coups de foudre musicaux suivront, car c’est ainsi que Lim choisit une œuvre : « En attendant que je me déclare, cet amour grandit en moi. Je le laisse mûrir, et dès que je sens le moment venu, je me jette dans l’œuvre avec passion ». À l’âge de vingt-quatre ans, devant le monde entier, elle déclarera sa flamme à Beethoven, en enregistrant l’intégrale de ses sonates pour piano, dans le prestigieux label anglais EMI Classics.

La Source qui désaltère 

En février 2003 – elle a alors seize ans -, Lim est admise au Conservatoire national de musique de Paris. « J’ai accompli mon rêve » écrit-elle. Mais la jeune fille est portée par une autre quête : trouver la « source qui désaltère ». Auprès du Vénérable Pomnyun Sunim, un maître coréen, elle suit une retraite en Allemagne, et, à l’issue de celle-ci, songe à devenir nonne. Le Vénérable Pomnyun, qui invite chacun à agir là où il est, l’en dissuade : « En tant que musicienne, vous pouvez apporter votre contribution au monde. » « J’étais déçue, se souvient Lim, car j’avais une telle soif d’absolu ! L’apparence et le succès me semblaient illusoires. Ma quête spirituelle était indissociable d’une vie monastique ». De cette première retraite, elle rapportera un « trésor » qu’elle ne sait comment nommer, mais qui, écrit-elle, « s’imprègne avec la même force que la prière ». Ce trésor sous-tendra désormais tous ses choix.

« J’avais une telle soif d’absolu ! L’apparence et le succès me semblaient illusoires. Ma quête spirituelle était indissociable d’une vie monastique. »

Quelque temps plus tard, à l’automne 2014, Hyeon Jeong Lim rencontre un autre grand maître spirituel bouddhiste coréen, le Vénérable Seongdam Sunim : « Ce fut un tournant dans ma vie ! » Elle lui posera une question qui la taraude depuis longtemps, à propos de la relation entre l’interprète et le compositeur : « Je me sentais perplexe face aux deux écoles contradictoires qui prévalent dans ce métier : l’une dit qu’il faut être seulement un serviteur de l’œuvre ; l’autre défend l’idée que l’interprète est la grande star, qui se sert de la musique du compositeur pour briller ». Le Vénérable lui répond que « ces deux postures peuvent coexister harmonieusement. L’humilité, c’est être conscient de l’interdépendance des êtres (…) Lorsqu’un interprète pénètre profondément dans l’univers d’un compositeur, les émotions suscitées par la musique du compositeur deviennent les siennes. » Ces paroles du maître laisseront une profonde empreinte dans le cœur de la pianiste : « Quand j’interprète le Concerto n° 2 de Rachmaninov, je dois entrer dans la douleur et l’amour de tout un peuple, sublimés par les harmonies musicales qui vont directement dans notre subconscient. C’est une mise à nue complète de soi-même ».

L’année suivante, en juillet 2015, Lim invite le Vénérable Seongdam Sunim au Festival international de piano de Dublin : « Je voulais que la fusion du piano et du chant scandé bouddhiste du Vénérable puisse faire percevoir à l’auditeur cette expérience unique du mouvement de l’ombre vers la lumière ». Lim interpréta au piano des pièces du répertoire classique et le Vénérable Seongdam chanta le « Jitsori », un chant ancien de la musique traditionnelle coréenne.

À trente-trois ans, Hyeon Jeong Lim rend grâce à « sa bonne étoile ». Elle a accompli son désir d’enfant : « J’ai dans les mains, la tête et le cœur les œuvres classiques majeures, mais je me sens humble – ô combien ! – devant le chemin qu’il me reste à parcourir ; un chemin vers l’Éveil, vers le silence. Mon défi ne se joue plus dans la maîtrise de telle ou telle œuvre, il est dans l’unité spirituelle avec le public, que permet la musique ».

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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