Frank Ostaseski  « La mort peut nous aider à mener une vie plus intense et pourvue de sens. »

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Cofondateur du Zen Hospice Project qui vise à accompagner avec bienveillance des personnes en fin de vie et du Metta Institute qui forme des accompagnants, Frank Ostaseski est aussi enseignant de pleine conscience et conférencier. Il nous invite, dans son livre publié il y a deux ans aux États-Unis, Les cinq invitations, à découvrir ce que la mort nous apprend pour vivre plus pleinement et intensément.

Pourquoi avez-vous fondé le Zen Hospice Project ?

L’idée était de réunir des personnes qui pratiquent la méditation et sont à l’écoute de leur esprit et de leur cœur avec des personnes souffrantes en fin de vie de façon à ce qu’elles soient accompagnées et écoutées. Nous avons voulu ancrer le Zen Hospice Project, dès sa fondation à San Francisco dans les années 1980, dans des valeurs de service aux patients et de compassion. Au début, nous avons travaillé avec des personnes qui vivaient dans les rues de San Francisco. Nous ne voulions surtout pas nous dissimuler derrière notre doctrine et notre rhétorique bouddhistes, mais les aider avec simplicité et sincérité. J’ai dirigé le Zen Hospice Project à partir de 1987. J’ai passé le témoin et ne suis plus, aujourd’hui, en charge de cette institution. Un des enseignements clés fondamentaux du bouddhisme est celui de l’impermanence. Les personnes en fin de vie ont besoin d’être entourées d’une présence calme et apaisante. C’est ce à quoi nous nous employons.

Vous avez fondé en 2004 l’institut Metta, inspiré de principes bouddhistes, qui vise à assurer une formation spirituelle aux accompagnants de personnes en fin de vie. Quinze ans après sa fondation, de quelles réalisations ou projets êtes-vous le plus fier ?

Le Metta Institute est une excroissance du Zen Hospice Project. Nous l’avons fondé avec l’idée de partager ce que nous avions appris au chevet des personnes en fin de vie pour en faire profiter un plus large public. Nous formons des professionnels pour qu’ils puissent accompagner ces personnes en pleine conscience et avec compassion. Cette formation est centrée sur un processus de changement personnel. L’objectif est que les participants à ces ateliers se transforment intérieurement tout en contribuant à faire évoluer les organisations dans lesquelles ils travaillent. Des centaines de personnes sont venues ainsi se former à l’Institut Metta.

« Avant de commencer à enseigner la pleine conscience, un ami m’a invité à répéter ce mantra : « Il est possible que je me trompe ». Je l’utilise régulièrement pour ne pas me déconnecter des mystères de la vie. Le but de la vie ne consiste pas à apporter des réponses à toutes nos questions, mais à apprendre à vivre avec celles-ci. »

Nous avons baptisé notre institut Metta, tiré du mot pali qui signifie « amour bienveillant », car à l’approche de la mort, ce qui importe le plus c’est l’amour. Pratiquer metta signifie rayonner de la bienveillance et souhaiter que tous les êtres soient heureux. Nous avons voulu que tous nos enseignements soient enracinés dans ces principes, ancrés dans l’amour, tout en reconnaissant notre interdépendance et l’impermanence de la vie.

Pourquoi avez-vous écrit ce livre, Cinq invitations (1) ?

J’étais réticent à l’écrire… C’est ma femme qui m’y a encouragé en me mettant en relation avec un éditeur qui m’a aidé à lancer le projet et m’a accompagné. Je voulais, grâce à ce livre, rendre hommage à toutes ces personnes que j’ai rencontrées et accompagnées, et qui m’ont fait l’honneur de se confier à moi. Et aussi et surtout rendre compte de ce qu’elles m’ont enseigné. Tout ce qui est écrit dans ce livre m’a été confié par elles. Ces invitations sont des guides qui peuvent être très utiles aux personnes en fin de vie. Elles peuvent aussi aider tout un chacun à vivre une vie qui ait du sens et qui soit portée par des valeurs. Nous n’avons pas voulu garder pour nous ces joyaux, mais les partager avec le plus grand nombre.

Que voudriez-vous que vos lecteurs retiennent de ce livre ?

Je voudrais leur dire : n’attendez pas ! N’imaginez pas qu’à l’heure de disparaître, vous aurez spontanément la force physique, la stabilité émotionnelle et la clarté d’esprit pour accomplir le travail de toute une vie. Vivez pleinement votre vie tout en ayant conscience que la mort est notre destin commun, que l’on n’y échappe pas. La mort peut devenir notre enseignante. Elle peut nous aider à découvrir ce qui compte le plus pour nous, et à mener une vie qui ait plus de sens. La vie devient plus précieuse quand on prend conscience de sa précarité.

Vos croyances bouddhistes vous ont-elles aidé dans ce processus d’accompagnement ?

Le bouddhisme m’a aidé à connaître la vérité. À comprendre que quand on résiste à un processus, cela entraîne de la souffrance. À comprendre aussi que nous sommes tous interdépendants. Ces vérités permettent d’aborder les rivages de la mort avec plus de calme, de grâce et d’équanimité.

La seconde de vos invitations est formulée ainsi : « Accueillez toute chose ». Que signifie-t-elle ?

Accueillir toute chose ne veut pas dire être d’accord avec toute chose ni aimer tout ce qui se présente à nous. Cela veut dire qu’il faut prendre acte de ce qui est, de ce qui survient. Quand on nie l’existence de la mort, on vit dans une forme de confusion. On vit dans la peur et on souffre. Il faut comprendre ce que la mort veut nous enseigner. Si on le fait, d’autres possibles s’ouvrent alors à nous. C’est une invitation à tout accueillir sans peur. On ne peut y parvenir par la force de la volonté, mais en s’abandonnant à l’amour.

Qu’est-ce que cette seconde invitation à cultiver « un esprit qui ne sait pas » ?

Il ne s’agit pas d’encourager l’ignorance. C’est plutôt une invitation à nous entraîner à avoir un esprit ouvert, curieux et réceptif. Quand on est dans l’état d’esprit ouvert de celui ne sait pas, on est disposé à accueillir ce qui nous surprend. En ma qualité d’accompagnant, je dispose d’une boîte à outils à même d’aider mes patients. Mais ces outils ne doivent pas faire écran entre mes patients et moi. Je sais qu’ils sont là, mais je ne m’en encombre pas. Un esprit qui ne sait pas est un esprit vivant, alerte et curieux de tout. C’est une invitation à vivre sans plaquer des idées ou des pensées préconçues sur le réel.

Ces cinq invitations sont-elles toutes ancrées dans des croyances bouddhistes ?

Oui, elles puisent toutes leurs racines dans le bouddhisme, mais aussi dans les enseignements que j’ai reçus de toutes ces personnes en phase terminale. Ces cinq invitations s’interpénètrent, elles sont toutes interdépendantes.

Vous écrivez, à la fin de votre livre, que de nombreuses personnes ont peur de la mort, car elles ne savent pas vivre avec l’inconnu…

Nous avons tendance à penser que connaître les choses nous donne le pouvoir de les contrôler. Mais il y a tant de choses dans nos vies que nous ne connaissons pas, tant de mystères… Nous nous leurrons, nous pensons maîtriser des choses que nous ne maîtrisons pas. Nous ne savons pas si nous serons encore en vie à la fin de cette journée. Nous sommes prisonniers de nos savoirs. Avant de commencer à enseigner la pleine conscience, un ami m’a invité à répéter ce mantra : « Il est possible que je me trompe ». Je l’utilise régulièrement pour ne pas me déconnecter des mystères de la vie. Le but de la vie ne consiste pas à apporter des réponses à toutes nos questions, mais à apprendre à vivre avec celles-ci.

Êtes-vous, vous-même, parvenu à dépasser votre propre peur de la mort, au fil des ans au contact avec ces personnes ?

Je ne sais pas. J’ai toujours peur de la douleur. J’ai peur de la confusion qui survient parfois dans ces périodes de fin de vie. Mais j’ai aussi découvert que quand j’ai peur et que je sais que j’ai peur, une part de moi n’est pas effrayée. Cette part en moi qui reconnaît cette peur n’est pas effrayée. J’ai appris, au cours de ma vie, à cultiver cette attention, cette conscience des états d’esprit perturbés. On devient ainsi capable de cohabiter, de vivre en sympathie avec la peur.

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Fabrice Groult

Fabrice Groult est un aventurier, photographe et bouddhiste qui parcourt le monde depuis son plus jeune âge. Après avoir étudié le bouddhisme en Inde, il s'est engagé dans un voyage de dix-huit mois à travers l’Asie qui l'a mené jusqu'en Himalaya, où il a découvert sa passion pour la photographie. Depuis, il a parcouru le monde pour capturer des images de beauté et de sagesse bouddhiste. Il a été guide pendant dix ans, et est aujourd'hui journaliste chez Bouddha News.

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