En chemin vers le lâcher-prise

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Zazen, samu, calligraphie, confection de kesa et de rakusu. Six jours et demi de vie en groupe dans une abbaye en milieu rural, d’éveil au retour sur soi et à une forme de simplicité volontaire. Tel était le programme de la Sesshin Sans Demeure qui s’est tenue fin février dans la Sarthe. Reportage à Bernay-en-Champagne.

Ils étaient un peu plus de cent, pour la photo de famille, sourire aux lèvres, à tenir la pose sous les arcades du cloître. Debout, dignes et fiers dans leur kesa, gris-noir ou gris-bleu, symboles de simplicité, d’unification de l’esprit et d’ouverture à l’indicible et au sacré. Plus de cent moines, nonnes et bodhisattvas venus de France et d’Allemagne se sont retrouvés dans cette ancienne abbaye plantée sur une colline à Bernay-en-Champagne, à une vingtaine de kilomètres du Mans. La plupart ont été ordonnés par Philippe Coupey, leur maître, qui a créé la Sangha Sans Demeure en 2001, mais aussi par Taisen Deshimaru ou d’autres disciples du maître.

Kesa et rakusu

Au menu de cette longue sesshin de plus de six jours : sept à huit heures quotidiennes de zazen, ponctuées de séances de samu (des travaux collectifs bénévoles, une forme de « méditation en action » pour assurer les repas, l’entretien et le fonctionnement du lieu), et d’ateliers de calligraphie, de confection de kesa (la robe traditionnelle des moines et moniales) ou de rakusu (un habit traditionnel japonais porté autour du cou) et de marches dans la nature. « Ce sont des personnes que je ne vois parfois qu’une fois par an. Mais quand on se retrouve, c’est comme si nous ne nous étions jamais quittés », raconte Juliette Heymann, productrice sur une radio publique, en éclatant d’un grand rire joyeux. « C’est un peu comme une famille. Il n’y a pas besoin des mots. On t’accepte telle que tu es. Les gens viennent comme ils sont et approfondissent ce qu’ils sont. Il n’y a pas de tricherie. J’y suis beaucoup plus à l’aise que dans ma propre famille. Ici, il n’y a pas de rumination du passé. Ce qui n’empêche pas les inimitiés, mais la pratique nous unit. Nous sommes tous assis côte à côte, tu sens l’énergie des autres, l’énergie du dojo… »

« Notre pratique, Shikantaza, n’a rien à voir avec l’intelligence, car elle n’a pas de but. Donc, pas besoin d’apprendre une technique, de posséder un savoir ou des compétences particulières (…) Seulement un bon zafu et du courage et beaucoup de courage. » Philippe Coupey

Il est 7h ce vendredi 28 février. Seuls ou par petits groupes, les pratiquants rejoignent le dojo, une vaste grange rectangulaire avec lambris et poutres apparentes, dans laquelle sont installés ronds noirs et carrés sur le carrelage blanc, une multitude de zafu et zafuton. Les pratiquants s’installent en position de lotus ou de demi-lotus face au mur. Tintement d’une cloche, suivi de deux autres. Es-tu bien là ? Vivant et fort comme une montagne, et immergé dans le moment présent ? Après une heure d’assise, Philippe Rei Ryu Coupey, qui dirige la sesshin, invite les participants à une séquence de « kinhin » d’une dizaine de minutes. C’est une méditation marchée extrêmement lente, au rythme de la respiration, qui prolonge la méditation assise et vise à vivifier le corps et l’esprit. La main gauche refermée recouverte par leur main droite, moines et nonnes s’avancent à pas comptés, lentement avec grâce et dignité, au rythme de l’inspiration et de l’expiration, les yeux à moitié ouverts et le regard baissé. Après avoir levé le pied légèrement, on pose d’abord le talon avant de prendre appui jusqu’aux orteils au fur et à mesure de l’expiration pour s’ancrer fermement dans le sol. Pendant un court instant, le corps s’immobilise, le temps de l’expiration. Au son de la cloche, on ramène les deux pieds l’un à côté de l’autre, avant de s’incliner et de revenir sur son zafu.

« Les rituels ? Ce sont comme des points d’acuponcture. Nous faisons tous les mêmes gestes qui nourrissent le groupe. C’est un cadre qui ne nous enferme pas, il nous ouvre à la vraie liberté », souligne Françoise Sho Jaku Lesage, le regard vif, la soixantaine sereine et posée, assise dans la salle de l’atelier de calligraphie qu’elle anime. C’est en 1978 que cette ancienne enseignante auprès d’enfants en difficulté a découvert le Zen. Elle n’a jamais rencontré maître Deshimaru (disparu en 1982), mais se dit néanmoins imprégnée de son énergie, de cette force ancrée dans le présent, qui l’invite à ne jamais se laisser emporter ou déstabiliser. Elle a reçu en 1985 d’Étienne Zeisler l’ordination de nonne et un nom japonais, « Sho Jaku » – « tranquillité exacte » -, qui, dit-elle, a conduit sa vie et l’a aidé à devenir qui elle est.

Présence paisible et concentrée

Après deux heures et demie de route, sous la pluie, branché sur une radio d’information en continu, égrenant, quart d’heure après quart d’heure, l’évolution de la propagation du coronavirus à travers le monde, c’est un bonheur de s’immerger dans la grande famille de la Sangha Sans demeure. Calme et bienveillance. Pas de sourires forcés ni de curiosité intrusive. Il émane de la plupart des pratiquants une forme de présence paisible et concentrée. « Comment naît cet égrégore, cet esprit de groupe fécond ? Nous n’avons pas de temple. Ce sont les liens que nous tissons entre nous qui sont importants », sourit Jonas Endres, assistant de Philippe Coupey, ordonné moine en 2008, qui codirige la sesshin. « Ces liens sont basés sur la pratique de zazen, qui nous réunit tous. Une pratique qui est peut-être ce qu’il y a de plus noble pour nous. Nous veillons à laisser à chacun tout l’espace dont il a besoin. Nous pouvons éprouver de la sympathie les uns pour les autres, mais celle-ci n’est pas imposée. C’est très agréable », poursuit-il, la voix douce et l’accent guttural trahissant ses origines allemandes.

Le calme et la sobriété sont eux aussi de rigueur pendant les repas pris en silence. Gruau de riz au petit-déjeuner. Soupe de courge butternut au lait d’avoine, riz et légumes en saumure au déjeuner, suivis d’une crème de marrons aux zestes de citron. Tout concourt à cultiver simplicité, gratitude et un sentiment d’humilité et de contentement face à ce que la table vous offre.

« Pour pratiquer la Voie, il faut simplement s’investir avec le corps dans le moment présent. Et cela n’est absolument pas une question d’intelligence. Notre pratique, Shikantaza, n’a rien à voir avec l’intelligence, car elle n’a pas de but. Donc, pas besoin d’apprendre une technique, de posséder un savoir ou des compétences particulières (…) Seulement un bon zafu et du courage et beaucoup de courage », insiste Philippe Coupey dans son livre Zen, simple assise qui est un commentaire du Fukanzazengi, Guide universel sur la voie juste de zazen.

Qu’attendre alors de la pratique de zazen, si, comme le soutenait maître Taisen Deshimaru, il n’y a rien à obtenir dans le Zen Soto ?

Ceux qui arrêtent de pratiquer sont souvent des personnes qui attendent un truc, une carotte, pointe ma voisine de table. « Pour moi, l’enseignement le plus profond est qu’il n’y a pas de but. De fait, tout s’est transformé dans ma vie depuis que je pratique, même s’il est difficile de le définir avec des mots. En ce qui me concerne, cela a d’abord joué sur le lâcher-prise. On n’arrête ni les émotions ni les pensées, mais désormais elles ont tendance à me traverser et à passer leur chemin. C’est l’impermanence », confie Juliette Heymann avant de s’éclipser. « Je suis pilier de tous les zazen durant cette grande sesshin. Je dois être en posture avant tous les autres », glisse-t-elle en souriant.

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Sophie Solère

Sophie Solère est une journaliste économique et sociale qui s'intéresse depuis des années à l'environnement et à l'interdépendance. Elle travaille pour Bouddha News, une plateforme de médias dédiée à la spiritualité et à la sagesse bouddhiste. En pratiquant le yoga et la danse méditative, Sophie a découvert le pouvoir des voyages spirituels, qui offrent tant de chemins pour se (re)trouver. Elle se consacre à partager avec les lecteurs de Bouddha News des histoires inspirantes et des conseils précieux sur la pratique spirituelle et l'environnement.

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