Paris en voit de toutes les couleurs. Alors qu’à quelques centaines de mètres à vol d’hélico, la place de la République est le théâtre d’affrontements entre gilets jaunes et CRS en uniforme bleu et noir, l’Hôtel de Ville se remplit peu à peu d’une foule bien plus festive et bigarrée. Quelque 500 personnes se massent dans la superbe salle des fêtes de la rue Lobeau pour assister à l’acte III du spectacle « Du Gange au Mékong ». Les spectateurs commencent le voyage au pied de l’immense escalier qui mène à la salle de réception, copiée sur la galerie des glaces du château de Versailles. Tout au long des marches, une haie d’honneur accueille les invités, dans un somptueux défilé de saris en soie et de kurtas (chemises traditionnelles indiennes qui arrivent à mi-cuisse) de cérémonie finement brodés, de robes soyeuses, tchubas (jupes longues) tibétaines ou sinhs laotiennes, la version locale du sarong, de topis (chapeaux) népalais et de turbans chatoyants. Les marches de Cannes paraissent bien ternes.
À l’étage, les regards se perdent dans les lustres en cristal de Baccarat, les rideaux de soie et les feuilles d’or à profusion. Sur les murs, comme au plafond, chaque peinture, dont la superbe fresque centrale Benjamin Constant, illustre l’histoire de la danse et de la musique à travers les siècles. En ce samedi, les cariatides, postées à chaque angle du plafond, s’effacent au profit des artistes asiatiques.
Déluges de décibels et Danse du démon
Cette année, le Haut Conseil des Asiatiques de France – organisateur de cet événement, sous l’égide de Buon-Huong Tan, maire adjoint du XIIIe arrondissement – a élargi la palette des identités culturelles en ajoutant le Népal et le Tibet, à cette affiche de rêve qui comprend déjà des artistes du Cambodge, du Laos, du Népal, du Rajasthan, du Tamil Nadu et du Vietnam. Après les discours d’ouverture devant les ambassadeurs et représentants de chaque pays, le spectacle débute par une danse Tashi Shopa du chanteur et multi-instrumentiste Tshering Wangdu. Dans la tradition tibétaine, ce chant de bonne fortune, sorte de récitation d’un texte sacré, et dansé, précède chaque pièce d’Atché Lhamo (l’opéra populaire tibétain, proposant une combinaison de danses, de chants et de chansons). Place ensuite aux groupe Bassant, composé de cinq musiciens et d’une danseuse appartenant à la tribu nomade des Kalbeliya, pour une « Danse des Gitans du Rajasthan », au son de l’harmonium, de la double flûte, du sarangi (violon indien), des dholaks et des tablas, les célèbres percussions indiennes.
En ce samedi, les cariatides postées à chaque angle du plafond s’effacent au profit des artistes asiatiques.
Le spectacle suit son cours tranquille, mais envoûtant, le long des escales au Tamil Nadu, en Corée du Sud pour une chorégraphie tout en muscle de Taekwondo, au Cambodge pour une démonstration d’art martial (c’est peu dire) khmer, au Laos à travers une « danse de Hanuman », tirée de l’épopée hindouiste du Ramayana, puis une danse sacrée « Nangkèo ». La tradition veut que, lors de chaque premier jour de l’an du calendrier bouddhiste, la troupe des Nangkèos exécute cette danse en la seule présence de la cour royale Lao et des hautes personnalités. Moment d’effroi lors de la halte népalaise, avec la représentation de « Lakhé » (ou Danse du démon), au son des guitares électriques saturées et des déluges de décibels. Certains jeunes spectateurs ont dû se croire dans un concert de heavy metal, tendance très « dark ». Un tableau saisissant. Figure de la danse traditionnelle de l’ethnie des Néwars au Népal, Lakhé est une évocation chorégraphique du démon devenu protecteur. « Ce spectacle fait écho aux peurs qui hantent aujourd’hui les Népalais, trop nombreux à souffrir des conséquences des séismes depuis 2015, souvent contraints à l’émigration, peurs plus concrètes et plus tragiques que l’obscurité de la forêt et des créatures qui l’habitent », explique le maître de cérémonie. Plus qu’une simple croisière le long du Gange et du Mékong, une traversée culturelle illustrant l’union des peuples à travers les arts