Avez-vous reçu une éducation religieuse ?
Ma mère était catholique, mais peu pratiquante. Elle avait cependant un lien très fort avec Sainte-Thérèse de Lisieux. Pour ma part, j’étais catholique, mais sans plus, tout en ayant un grand respect pour toutes les traditions religieuses authentiques, ainsi que pour leurs saints. Lorsqu’on étudie leurs biographies et leurs parcours, on voit à quels points les difficultés sont les mêmes pour tous, tout comme les qualités nécessaires pour réaliser l’union mystique ou l’Éveil, selon la terminologie utilisée par les différentes religions.
Dans quelles circonstances avez-vous rencontré le bouddhisme ?
Je suis devenu bouddhiste vers l’âge de 35 ans. À cette époque, l’expérience de la maladie a transformé ma vie, en étant confronté à la mort. Les douleurs physiques et morales étaient importantes, intenses ; l’épuisement physique total. Arrivé à un certain stade s’est produit ce que l’on pourrait appeler un lâcher-prise, totalement involontaire : « Oui, si je dois mourir, alors que je meure… », un peu comme un enfant qui s’abandonne totalement dans les bras de sa mère. J’ai vécu, à ce moment-là, une paix extraordinaire, non pas malgré, mais avec la douleur. Je m’en suis finalement sorti, mais le scientifique que j’étais voulait impérativement comprendre : comment était-il possible d’avoir atrocement mal et d’être en paix ? Médicalement parlant, c’était incompatible. Il me fallait absolument une réponse. Je suis d’abord parti en Inde dans un ashram, auprès de Maharishi Mahesh Yogi, avant de rencontrer, en France, mon précieux maître, Bokar Rinpoché, dans le cadre du bouddhisme Vajrayana.
Qu’est-ce qui vous a attiré dans la voie du Bouddha ?
Ce qui m’a attiré, c’est en priorité le fait d’avoir trouvé mon maître, mais aussi cette vision très profonde de la réalité que le Bouddha enseigne si parfaitement. Jeune externe, je travaillais aux urgences, dans un hôpital près de Paris. Il y avait beaucoup de traumatologie routière. Le fait de voir des enfants décédés et leurs corps déchiquetés, de devoir annoncer leur mort à leurs parents, me révoltait terriblement et provoquait en moi une violente colère. Je ne comprenais pas le sens de la vie… Je suis le genre d’homme qui aime faire face à la réalité, directement. Pour cette raison, j’ai terminé mes études dans un service d’anatomo-pathologie en effectuant de nombreuses autopsies. Ainsi, je n’ai plus eu aucun doute sur la véracité de l’enseignement du Bouddha (la mort, l’impermanence, la souffrance, etc.), et sur la possibilité de se libérer de ce cycle douloureux. D’un certain point de vue, l’Éveil, c’est sortir de ce cauchemar dans lequel nous sommes plongés, cauchemar dont nous n’avons pas toujours conscience, d’ailleurs.
« En tant que scientifique, je voulais comprendre : comment était-il possible d’avoir atrocement mal et d’être en paix ? »
Les principes fondamentaux du bouddhisme me parlent dans les moindres détails. Par exemple, dans les paramitas ou vertus, des qualités comme l’entraînement à la patience, ne pas nuire aux autres ou le calme issu de la méditation, aident à établir des relations harmonieuses avec autrui. C’est donc très bénéfique et, au bout du compte, très apaisant.
Qu’est-ce que cela vous apporte dans votre exercice de la médecine, au contact de la souffrance et de la mort dans les hôpitaux ?
Déjà, la force de faire face, au quotidien, à toutes ces douleurs humaines, sans être déstabilisé et en gardant un bon moral. J’ai créé la consultation de la souffrance il y a plus de vingt ans et, évidemment, je ne m’attendais pas à tout ce que j’ai pu vivre et apprendre à travers les supplices parfois endurés par mes patients. Je dois beaucoup à ces personnes qui m’ont tant enseigné à travers leurs épreuves et leurs derniers instants de vie. Ces moments m’ont puissamment stimulé dans ma pratique spirituelle. Face à de telles situations, un médecin développe un désir profond et sincère de pouvoir aider. Nous savons tous, intellectuellement, qu’on meurt un jour, mais on n’en a pas vraiment conscience. Être confronté à la souffrance et à la mort aide à réaliser ce que le Bouddha nomme « la précieuse existence humaine ». Cette existence devient précieuse si on l’utilise pour mûrir, grandir et s’éveiller pour pouvoir encore mieux aider les autres et aussi, soi-même, à se libérer de la souffrance. C’est ce que l’on appelle « l’esprit d’Éveil » ou encore « la précieuse Boddhicitta ».
La pratique bouddhique vous permet-elle d’être plus à l’écoute des patients ?
Oui, par exemple, la méditation aide beaucoup. Je ne parle pas de méditation laïque, mais d’une méditation intégrée à un chemin spirituel authentique. Se développe alors la présence, qui a de multiples qualités : elle laisse l’espace à l’autre pour s’exprimer avec confiance ; elle permet au soignant ou au thérapeute de mieux ressentir ce qui est au-delà des mots ; elle rayonne un amour et une compassion authentiques.
C’est très important pour un soignant d’être profondément humain et il est évident qu’une pratique spirituelle vraie et sincère est très utile, tant pour le soignant que le malade. Là où il y a la souffrance, la maladie et la mort, le sacré doit impérativement être présent. Autrefois, il y avait toujours une petite chapelle dans les hôpitaux.
Comment êtes-vous sorti de vos croyances et de vos peurs au fil de votre expérience du Dharma ?
Je n’ai pas de croyances particulières puisque je me consacre à l’expérience, à ce qui est. C’est d’ailleurs ce qui m’a plu dans l’enseignement du Bouddha, qui a dit : « Ne croyez pas ce que je raconte, expérimentez par vous-même ». En tant que scientifique, ces propos me convenaient parfaitement. Au fur et à mesure que les expériences se manifestent en lien avec l’enseignement, alors la foi et la dévotion augmentent. La foi est synonyme de confiance et la dévotion d’amour de la réalité. Très humblement, celui ou celle qui se tourne de plus en plus vers le divin ou vers cette dimension indicible, peu importe le nom, finit par en ressentir le doux parfum. Concernant les peurs, un pratiquant spirituel en a, comme tout le monde ; le courage consiste à y faire face
Qu’est-ce que la pratique spirituelle vous apporte dans votre relation aux autres, dans la vie de tous les jours ?
Ma pratique me permet probablement, à mon petit niveau, de donner plus d’amour, d’avoir plus de compassion, de patience. Des qualités qui aident dans une relation harmonieuse avec autrui. Pour partager, je laisse faire la vie. C’est un peu la notion de seva, en sanskrit : on entre progressivement au service du divin. On devient un « esclave spirituel », comme le disait le grand maître Lee Lozowick. Le terme esclave n’est pas très plaisant, mais ici, c’est l’inverse : la joie naît avec l’aptitude à œuvrer spontanément, naturellement. C’est une sorte de fraîcheur ou d’innocence qui n’est pas sans rappeler celle de l’enfance. C’est léger.