Dawn Engle : Le Dalaï-Lama ou le bouddhisme tibétain à l’épreuve de la science

- par Henry Oudin

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Réalisatrice du documentaire The Dalai Lama, Scientist, présenté en avant-première à Venise lors du festival du Cinéma, Dawn Engle aborde un aspect méconnu de la Sainteté le Dalaï-Lama : sa passion pour les sciences.

Dawn Engle, la réalisatrice du documentaire The Dalai Lama, Scientist, présenté en avant-première à Venise lors du festival du Cinéma, aborde un aspect méconnu de la personne du Dalaï-Lama. Le film retrace, avec des documents d’archives inédits, son intérêt pour la science, depuis son enfance. Et on le voit, plus tard, débattre avec des scientifiques – Paul Ekman, en psychologie, Richard Davidson, en neurosciences, Francisco Varela, le Prix Nobel Steven Chu et des spécialistes de physique quantique – lors des rencontres de Dharamsala et du Mind and Life Institute, où il analyse le champ des possibles entre sciences bouddhiste et occidentale. Ces échanges hors du commun ont abouti à la création de nouvelles pratiques, à la croisée des chemins entre le savoir ancestral bouddhiste et la recherche scientifique de pointe, dont l’introduction de la notion d’empathie dans le domaine médical, ou les études, en neurosciences, sur les mécanismes cérébraux en activité lors de la méditation.

Dawn Engle et son époux Ivan Suvanjieff, producteur du film et de la série Nobel Legacy Film Series, ont fondé Peace Jam, une organisation qui associe des jeunes porteurs de projets novateurs à quatorze Prix Nobel, dont Rigoberta Manchu, Desmond Tutu et le Dalaï-Lama, l’un des premiers membres fondateurs. D’une durée d’un an, le programme se déroule dans quarante pays et développe des projets pour la paix en lien avec la spécificité de chaque Prix Nobel, traitant du racisme, du droit des femmes, mais aussi de l’empathie, de la compassion et du changement climatique avec le Dalaï-Lama. « Pendant plus de trente ans, j’ai passé du temps avec des scientifiques occidentaux », déclare le Dalaï-Lama. « En y réfléchissant, je pense parfois que je suis à moitié un moine bouddhiste et l’autre moitié, un scientifique. » On découvre dans The Dalai Lama, Scientist » les extraordinaires initiatives lancées par le Dalaï-Lama, interlocuteur rare entre les savoirs d’Orient et d’Occident.

Pourquoi avez-vous décidé de réaliser un film sur le Dalaï-Lama ?

Ivan, mon mari, eu l’idée de créer Peace Jam, un organisme qui met en relation des Prix Nobel avec des jeunes afin de développer des projets innovants dans leurs communautés. Le Dalaï-Lama, qui membre fondateur de Peace Jam, a approuvé l’idée d’un documentaire sur lui, précisant : « Mais pas seulement avec moi ». Et Ivan a proposé : « Avec tous les films que nous avons sur les quatorze Prix Nobel, réalisons une série de documentaires sur eux ». Le film Kundun de Martin Scorcese existait, mais il n’y avait rien sur son intérêt pour la science. Aussi avons-nous décidé de réaliser un documentaire dans lequel il aborde ce sujet, en partant de son enfance.

Le Dalaï-Lama s’est-il montré ouvert à l’idée de faire part de ses souvenirs d’enfance ?

Il a été très accessible et a aimé en parler. Il est passionné par la technologie et a confié que s’il n’était pas devenu le Dalaï-Lama, il aurait été ingénieur ou électricien ! Et j’ai souhaité raconter son histoire selon ses propres termes, en débutant par son enfance, où nous voyons ce petit garçon, futur Dalaï-Lama, démanteler ses jouets, et découvrons son esprit analytique dès le plus jeune âge.

« Le Dalaï-Lama est passionné par la technologie et a confié que s’il n’était pas devenu le Dalaï-Lama, il aurait été ingénieur ou électricien. »

Quelle est votre relation au Dalaï-Lama ?

Je suis économiste au Congrès américain ; j’ai participé à la législation pour la défense les droits de l’Homme au Tibet et faisais partie du Groupe de soutien du Colorado pour le Tibet. J’ai donc été très impliquée dans l’aide au Tibet. J’ai rencontré le Dalaï-Lama il y a trente ans, lors d’une conférence du Mind and Life Institute, dirigée par Adam Engle, mon ex-mari.

Lors de leurs entretiens avec le Dalaï-Lama, les experts scientifiques se montrent surpris par ses observations, sa curiosité et son aisance à débattre de ces sujets pointus. Ont-ils changé d’avis à l’issue de ce film et pensent-ils autrement aujourd’hui ?

Chacun des scientifiques présents dans le documentaire a été impacté par son échange avec le Dalaï-Lama, et les questions qu’il leur a posées ont changé leurs directions de recherche. Les visions de la science bouddhiste ont modifié certains concepts scientifiques occidentaux.

Aux États-Unis, où il y a tant de courants « spirituels », dont le mouvement créationniste, qui n’accepte l’idée de la création du monde que de source divine, votre documentaire montre l’aspect rationnel de la philosophie bouddhiste appliquée à la vie et au monde actuel : quel type d’approche philosophique aviez-vous l’intention de mettre en avant ?

En participant aux conférences du Mind and Life Institute, j’ai compris qu’il y a d’un côté la foi et la philosophie bouddhiste, et de l’autre une science bouddhiste très élaborée. Cette interaction entre les sciences occidentale et bouddhiste que nous montrons dans le film est en effet née de la rencontre avec Dalaï-Lama, personnalité unique dans le monde religieux. D’ailleurs, au début du cycle de conférences Mind and Life, certains scientifiques refusaient de participer au dialogue avec lui par crainte de perdre leur crédibilité.

« Le Dalaï-Lama a créé une nouvelle génération de scientifiques, en instaurant un cursus de sciences contemplatives, ainsi qu’une nouvelle génération de moines et de nonnes bouddhistes érudits scientifiques, en vue de réalisations communes dans le domaine des innovations scientifiques, qui contribueront au bien de l’humanité. »

Nous découvrons son adaptabilité à synthétiser des informations de tous bords, notamment lorsqu’il évoque « la méditation analytique » en réponse à un psychologue, rappelant que « la psychologie occidentale relève du kindergarden (jardin d’enfants), versus la psychologie bouddhiste ». Son intérêt porte donc sur tous les aspects de la science ?

Le Dalaï-Lama est extraordinaire de par son ouverture, à tout et à tous, par sa façon de vous faire penser avec lui et de déclencher une pensée commune. Un don rare ! Il est très au fait du monde moderne et des évolutions dans le domaine des neurosciences ; il a créé une nouvelle génération de scientifiques, en instaurant un cursus de sciences contemplatives, ainsi qu’une nouvelle génération de moines et de nonnes bouddhistes érudits scientifiques, en vue de réalisations communes dans le domaine des innovations scientifiques, qui contribueront au bien de l’humanité. Nous avons donc vraiment besoin d’entendre son message salutaire dans ce moment difficile où nous nous trouvons aujourd’hui.

En lançant ce programme d’études scientifiques pour les moines dans des universités américaines, et avec l’apparition d’une nouvelle génération de moines bouddhistes, le Dalaï-Lama crée un enseignement innovant du bouddhisme. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, en décidant d’inclure les sciences dans le cursus monastique, il a opéré un changement extraordinaire. Il est à présent possible de suivre un curriculum en sciences, une option approuvée par les directeurs des monastères et les aînés Geshe. Il a réussi à faire accepter son projet par tout le monde, sans ne l’avoir jamais imposé. Le programme pour les moines de l’université d’Emory à Atlanta les forme à devenir des professeurs de sciences dans les monastères, ce qui est totalement nouveau. Il y a aussi le See program (Social Emotionnel Ethique) et celui des neurosciences contemplatives. Mais il ne s’agit pas seulement de recherche pure, le Dalaï-Lama insiste pour que la recherche aboutisse sur de nouveaux projets et des actions.

Il ne s’agit donc pas seulement d’un intérêt pour le débat, mais d’une approche activiste ?

En effet, il a déclaré : « Assez de discussions, passons à l’action ! » Ce film représente un outil afin que les gens découvrent les passerelles entre la science occidentale et le savoir bouddhiste. Et même si vous ne connaissez ni le bouddhisme ni la science, vous apprendrez quelque chose. En tant qu’économiste non bouddhiste, j’ai beaucoup appris. Notre souhait est de propager l’appel à l’action du Dalaï-Lama par des initiatives communes. Car, pour lui, la science représente une solution aux problèmes, dans un climat de confiance. Aussi créons notre futur ensemble, en unissant les connaissances scientifiques bouddhiste et occidentale, un merveilleux moyen de rassembler le monde.

 

Sortie prévue le 10 décembre (jour anniversaire du prix Nobel de la paix remis au Dalaï-Lama) sur iTunes, Amazon Prime, Vimeo, YouTube, Google Play, Vudu, etc. 

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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