Les formes asiatiques de méditation et de mouvement reposent sur la culture de l’immobilité. Pour un acteur japonais de Nô ou un derviche soufi, l’immobilité n’est pas simplement l’absence de mouvement ; c’est une présence puissante, une source de puissance et de grâce qui confère au mouvement profondeur et sens. Pensez à un lac tranquille. En surface, il semble immobile, mais en dessous, les courants tourbillonnent doucement, la vie palpite. De même, le danseur dans le calme. Bien que physiquement immobiles, les danseurs vibrent avec une intensité intérieure, source de potentiel à exprimer. Cette immobilité n’est pas statique ; c’est dynamique, sur le point de se transformer.
Quand un acteur de Nô s’arrête dans la danse ; quand les danseurs bugaku arrêtez-vous dans leur rituel; quand les moines de l’Himalaya arrêtent le mandala en mouvement des corps ; lorsque les danseurs balinais s’arrêtent dans leurs dévotions, c’est électrisant. Le calme appartient au mouvement. Le drame intérieur, la méditation, la visualisation ne s’arrête jamais. En fait, dans Noh, lorsqu’un personnage est submergé par son fardeau spirituel, la danse s’arrête, invitant le public à entrer dans la réalité spirituelle et palpitante du personnage, produisant une empreinte énergétique sur l’espace lui-même. Dans une forme d’art où le temps et l’espace sont dilatés et manipulés, le silence et l’immobilité partagés offrent une transcendance des formes d’art distinctes elles-mêmes.
Dans la méditation bouddhiste, nous entraînons l’esprit à observer l’activité en constante évolution des pensées et des émotions, cultivant ainsi le calme au milieu d’une tempête intérieure. De la même manière, le danseur cultive l’immobilité du corps, atténuant les mouvements superflus et s’accordant aux impulsions subtiles de la respiration et du flux d’énergie. Pour un derviche danseur qui tourne, ce point immobile est essentiel même pour que la physique fonctionne. Pour un danseur de Nô masqué, cette quiétude intérieure devient l’ancre, le fondement d’auto-identification sur lequel le mouvement acquiert clarté et précision.
Les pratiques taoïstes telles que Taï chi, baguaet Dragon nageur qigong offrir une autre perspective. Ils nous apprennent à suivre les courants de la vie et de la nature, englobant à la fois yin (calme) et yang (mouvement) dans le cadre d’une danse cyclique. Imitant souvent – ou incarnant – les huit énergies de base du I Ching, l’artiste martial qui s’inspire de cette philosophie se déplace avec fluidité et aisance, chaque geste s’harmonisant avec le rythme de la respiration et le flux d’énergie à travers le corps. Le silence et l’immobilité sont des éléments de l’harmonie. Où il y a des arrêts dans gagaku la musique, les arrêts et les silences doivent être compris comme faisant partie de la musique, voire comme un type de musique.
Lorsque j’ai travaillé pour la première fois avec des moines au Ladakh au monastère de Lamayuru, j’ai remarqué que de grandes danses de mandala, certaines durant jusqu’à une heure, s’arrêtaient à certains endroits : le cercle entier de 24 danseurs maximum s’arrêtait avec précision. J’ai appris plus tard que ces arrêts font partie de la danse et qu’on les appelle des « arrêts ».
Bouger avec immobilité montre comment l’immobilité se manifeste dans le mouvement réel. Chaque type d’immobilité incarnée en action cultive un état d’esprit différent et nécessaire, généralement basé sur la vitesse du mouvement. Dans des formes rituelles lentes, un léger déplacement de la tête, un geste subtil infusé par la respiration ou mudra; une pause pleine d’émotion et d’exposition – celles-ci peuvent se propager avec une énergie puissante, en disant long même en l’absence de grands sauts ou d’exploits acrobatiques.
L’immobilité devient évidente, même si les espaces vides prennent vie. L’immobilité permet au danseur de se concentrer sur la culture de l’esprit tout en bougeant ; une familiarité avec la réalité palpitante de l’immobilité. Le mouvement est lié à l’intention derrière chaque geste, rendant chaque action délibérée et imprégnée de sens. Pour un danseur de Nô japonais, aux mouvements mesurés et précis, l’immobilité est imprégnée d’une puissance tranquille. On dit que la vitesse lente du Noh est un facteur permettant à l’acteur de développer des techniques mentales aussi complexes et magistrales. En d’autres termes, maintenir la connexion avec une immobilité vibrante.
Alternativement, l’immobilité est un agent essentiel de la maîtrise mentale dans les danses rapides, athlétiques ou physiquement complexes. Un derviche soufi tourneur ; ou un moine himalayen tournant gyroscopiquement dans un vortex – tous deux s’appuient sur une immobilité au centre de la rotation rayonnant vers l’extérieur, attirant également le public dans leur vortex de dévotion. La tranquillité d’esprit est le seul fondement d’une concentration ininterrompue sur les techniques mentales nécessaires à la propagation du pouvoir symbolique de la figure.
L’immobilité en mouvement n’est pas seulement une question de concentration sur l’intérieur. Cela permet également au danseur d’être pleinement présent dans l’espace, en harmonie avec l’environnement et le public. Un danseur qui incarne l’immobilité attire l’attention par une présence discrète, presque magnétique, qu’il navigue calmement ou qu’il éclate dans des démonstrations grandiloquentes qui disparaissent comme tous les phénomènes, revenant à l’immobilité.
L’immobilité n’est pas le contraire de la danse ; c’est l’arme secrète. C’est le terrain fertile d’où s’épanouit un mouvement captivant, le rythme caché qui anime le talent artistique du danseur. Mon souhait pour tous mes lecteurs, alors que nous entamons cette nouvelle année 2024, est d’embrasser le calme, de le cultiver intérieurement et de laisser sa puissance tranquille guider votre propre danse vers de nouveaux sommets d’expression et de grâce.