Anna Göckel & Fabrice Midal : Une méditation en musique

- par Henry Oudin

Publié le

Dans le cadre du festival Imagine du quotidien Le Monde, le philosophe et la violoniste ont proposé une expérience inédite : une méditation collective et musicale afin de retrouver le goût de l’unisson.

Dimanche 6 octobre, 11h30. Alors que certains courent à la messe ou au marché, je file à l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille pour une séance de méditation… collective (environ 300 personnes) et musicale, animée par la violoniste Anna Göckel (1) et le philosophe Fabrice Midal. Ou comment méditer ensemble et en musique pour sortir de sa bulle d’ego et d’une vie en solo. Pour ce faire, les organisateurs ont prévu un dispositif original : l’écoute d’un morceau interprété par la violoniste, suivi d’une séance de méditation guidée par le fondateur de l’École Occidentale de Méditation. Puis la violoniste joue à nouveau le même titre, et on observe si la seconde écoute se révèle différente de la première. Une façon d’illustrer comment, en aidant à s’ouvrir au monde et à vivre le moment présent, la méditation transforme aussi le rapport à la musique et à la culture.

En introduction, Fabrice Midal résume sa découverte de la méditation, ses bienfaits thérapeutiques, puis s’étend sur les incompréhensions qui l’agacent : le fait que la médiation soit identifiée aux religieux et qu’elle soit de plus en plus instrumentalisée : « On nous explique qu’il faudrait apprendre à gérer son stress comme on gère son compte en banque », regrette-t-il. Il corrige quelques approximations notamment sur la terminologie « pleine conscience ». « Non, la méditation n’a rien à voir la conscience, mais avec le corps ! » Voilà pourquoi il préfère utiliser le terme de « présence ». Voilà pourquoi il a voulu s’associer à Anna Göckel dans cet événement médito-musical, « une artiste qui fait véritablement ressentir la présence de la musique. Ensemble, nous allons poser cette question : la méditation aide-t-elle à mieux entendre ? » Ses propres chants sans tomber dans ses vieilles rengaines.

« Le temps n’est pas mesurable par les horloges, mais par l’expérience. »

Pédagogue, Fabrice Midal explique que ce qui va suivre n’aura rien de sorcier : « Le meilleur moyen de stresser les gens, c’est de leur dire d’être zen », fait-il d’emblée remarquer. Première illustration sonore, une sarabande doublée d’une gigue de Jean-Sébastien Bach. À l’issue de ce mini-concert de moins de dix minutes, Fabrice Midal prend la parole et, d’une voix douce et posée, invite l’auditoire à méditer. Puis, dans un silence de cathédrale, Anna Göckel joue une seconde fois la même pièce. La parole est ensuite donnée à la salle. Invitée à témoigner, une quinquagénaire avoue avoir eu l’impression d’être « tombée dans un trou temporel ». Le conférencier lui répond qu’en effet, « le temps n’est pas mesurable par les horloges, mais par l’expérience », reprenant là la notion bergsonienne du temps. Une sexagénaire demande à son tour le micro, un peu agacée : « N’est-ce pas une injonction que de nous dire : « Soyez présent » ? Cette présence, ici et maintenant, requiert une pratique. Il ne suffit pas de le dire pour le vivre ! » Agréablement piqué au vif, le philosophe lui fait remarquer que cette injonction ne le gêne pas, « ce qui me dérange, ce sont les injonctions contradictoires ! Du type : « Sois efficace et sois toi-même » en même temps. Dans cette société, on nous explique en permanence qu’il faut s’écouter pour faire toujours faire plus… »

« J’ai commencé à remplacer le récit musical par la répétition (…) Pour faire en sorte que les auditeurs prêtent attention à la musique plutôt qu’à l’histoire de la musique. » Philip Glass

Tous les auditeurs interrogés l’admettent : la seconde version de la pièce de Bach semble plus courte parce que vécue plus « en présence », plus intensément. Invitée à donner son point de vue sur ce sentiment général, la musicienne avoue qu’elle a oublié une reprise de la pièce, sous les rires de la salle. Plus sérieusement, elle explique qu’elle a ressenti davantage d’espace émotionnel, de bienveillance lors de la reprise. Comme l’expliquer ? Elle détaille le rapport entre l’artiste et l’auditoire : « Si vous, public, avez peur du silence, alors il est bien plus dur pour moi, musicienne, de l’habiter… »

Philip Glass ou la forme méditative de la musique

Fabrice Midal propose un deuxième cas pratique, cette fois-ci sur la pièce Strung Out pour violon amplifié de Philip Glass, l’un de ses compositeurs favoris, concepteur « d’une forme méditative de la musique ». Pionnier de la musique minimaliste, nomment de l’école répétitive, au même titre que Terry Riley et Steve Reich, le musicien américain, né à Baltimore en 1937, n’a eu de cesse de fuir les académismes, harmonie et contrepoint en tête. C’est d’ailleurs en transcrivant des improvisations du musicien indien Ravi Shankar pour le film Chappaqua qu’il se passionne pour les structures répétitives. En 1966, il se rend en Inde pour approfondir ses connaissances, découvre le bouddhisme et l’hindouisme, et sympathique avec réfugiés tibétains.

Tout à son plaisir, le philosophe mélomane brosse le portrait d’un musicien méditant, qui a révolutionné l’écoute de la musique : « Adepte d’une forme de retrait, ce compositeur tentait de sortir du registre de l’émotion pour être dans celui de l’espace, du temps, de la non-intention. » Il cite le compositeur : « J’ai commencé à remplacer le récit musical par la répétition (…) Pour faire en sorte que les auditeurs prêtent attention à la musique plutôt qu’à l’histoire de la musique. » En somme qu’ils soient en pleine présence, non dans des projections, et qu’ils accueillent la musique sans chercher à réécrire les partitions. La violoniste enchaîne deux versions de la pièce, entrecoupées d’une courte séance de méditation : boucles répétitives à tempo presto, déluge de notes, cascades de cordes, l’archet file dare-dare, hypnotique, épileptique, il grince parfois, casse la cadence avant de repartir au galop, sous le sourire espiègle du maître de cérémonie. On jurerait qu’à un moment on l’a vu battre la (dé)mesure du pied. Et alors ? En guise de coda, le chef de cet orchestre d’un autre genre rappelle qu’il ne faut pas confondre pleine conscience et pleine présence, mais, comme le disait Nietzsche, à « apprendre à penser corporellement ». Voire à ne plus penser du tout le temps d’une danse méditative.

Photo of author

Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

Laisser un commentaire