« Si un jour, on m’avait dit que je serais à la tête d’une école de 416 élèves, je serais partie en courant ! Je n’étais pas venue là pour ça », lance Dominique, amusée. Dix ans après son dernier voyage en Inde, elle y revient en 2005, au Bihar, sur les terres de Bouddha, pour pratiquer. Mais, ajoute-t-elle en finissant d’avaler son café : « Rester sur un coussin quand les gens autour de soi vont mal et ont besoin d’aide m’était insupportable. Il me fallait faire quelque chose ». Tout est dit en quelques mots de ce qui la motive. Elle enfourche son scooter et part accueillir les élèves à Shanti India, l’école qu’elle a ouverte en 2010 à Bodhgaya, avec Anuj, son partenaire indien.
Le dharma dans l’éducation
Ensemble, ils ont scolarisé des enfants des rues dans la mendicité. Avec toujours, cette volonté « d’introduire le dharma dans l’éducation », insiste Dominique, convaincue qu’en développant chez les enfants des valeurs comme la gratitude, la bienveillance et la compassion, « cela les aidera à sortir de la misère et de la violence à laquelle ils sont confrontés. » Depuis son bureau où sont accrochées des photos de son maître tibétain Mingyour Rinpoché, elle prend son micro et démarre la méditation, retransmise dans les classes, par des haut-parleurs. Aujourd’hui, le thème est la gratitude envers ce que la vie nous offre. « Chaque matin, on réitère également le vœu de tout faire pour apporter du bonheur aux autres. Cela aide à développer une motivation positive dans la journée. » Des enfants, elle en a sauvé ! Comme la jeune Samridhi, onze ans, qui dit avoir désormais un esprit plus tranquille et ne plus se laisser miner par les problèmes à la maison depuis qu’elle médite à l’école. Ou encore, Rohit, treize ans. Présent depuis la maternelle, il est désormais soutenu par sa famille, réticente au départ à le scolariser !
« Dans le bouddhisme il y a ces trois piliers : étudier, contempler, méditer. La pratique en action, c’est bien, mais la pratique formelle est indispensable pour cultiver la sagesse. »
Pour faire vivre cette école, financée jusque-là par ses fonds propres et les dons des adhérents à Shanti India, Dominique a investi une partie de l’héritage de ses parents dans des chambres d’hôtes. C’est ainsi qu’elle a ouvert en 2012 Tara Guest House (du nom de la déité bouddhique symbole de la compassion), à quelques mètres de l’école. « Anuj m’a conseillé d’acheter la bâtisse attenante à sa maison pour l’agrandir, ainsi que le petit terrain adjacent pour faire de la permaculture. » Guidée par la compassion, elle y accueille des enfants et des femmes vulnérables qui ont dû fuir leur foyer. C’est le cas de Siam, sept ans, dont le père violent l’a enfermé dans une chambre obscure avec la maman pendant plus de trois ans. « Il n’arrive toujours pas à fermer les portes, mais il s’intègre de mieux en mieux à l’école. Ces enfants ont une résilience inimaginable ! » Au total, dix-huit personnes, dont la famille d’Anuj, vivent à demeure au rez-de-chaussée, les chambres aux étages étant réservées aux touristes.
« Ce n’est qu’une étape »
Pour Dominique, Shanti India et Tara Guest House ne sont qu’une étape. « Si je le pouvais, je sauverais tous les enfants de la Terre », dit-elle en souriant. En attendant, elle fait le maximum pour mettre en relation les jeunes en difficultés avec des maîtres et enseignants bienveillants. Et ne cache pas son désir de reprendre par la suite une vie de pratique plus intense. Lorsqu’elle le peut, c’est dans la salle de méditation, construite sur le toit de la guest house, que Dominique se ressource quotidiennement. « La pratique en action, c’est bien, mais la pratique formelle est indispensable pour cultiver la sagesse. Dans le bouddhisme il y a ces trois piliers : étudier, contempler, méditer. »
Attablée dans la cuisine, elle sort des friandises que les maîtres donnent aux participants à la fin de certains rituels et montre la photo de Mingyour Rinpoché, dont elle se sent proche. « Dans le Vajyarana, il faut voir le maître comme le Bouddha et pour moi, Mingyour l’incarne. »
De retour en Corse
Quand elle quitte Bodhgaya à l’arrivée des fortes chaleurs début mai, elle retourne quelques mois sur ses terres corses, dans son village d’Ospedale, près de Porto Vecchio. Là où elle a passé son bac en candidat libre avant de s’orienter vers des études de lettres pour finalement devenir infirmière. Là même aussi, où elle a organisé ses premières rencontres entre des villageois et des maîtres bouddhistes tibétains, à la fin des années 1980. À l’aune de la trentaine, touchée par la cause tibétaine, elle a ensuite fondé en 1993 l’association Corse-Tibet qu’elle continue de faire vivre pour « entretenir une dynamique autour de la méditation et du dharma ». Ses séjours en France lui permettent également de récolter des fonds pour Shanti India. Agir pour les enfants est le cœur de sa vie. Peut-être, car la sienne fut particulièrement heureuse avec ses parents au Maroc. « Mon père était un héros de la guerre qui a tout fait pour sa patrie et ma mère était une incarnation du bodhisattva ! Ils furent mes premiers maîtres. » Un exemple qu’elle ne cesse de reproduire.