Amadouer sa colère

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Les occasions ne manquent pas d’expérimenter chaque jour la plus explosive des six émotions de base, la colère. Qu’elle soit provoquée par un banal embouteillage ou par une injustice dont soi-même ou autrui est victime, la colère est chevillée à l’expérience humaine. Mais est-elle une réponse appropriée face à nos souffrances et frustrations, ou source de davantage de troubles ?

Selon la psychologie évolutionniste, la colère est un réflexe instinctif primaire, vestige de notre animalité primordiale. L’une de ses fonctions serait de permettre à l’individu d’assurer sa survie en s’affirmant et en s’assurant ainsi une paix relative. Mais cette paix est précaire et trompeuse, nous dit le bouddhisme. Autant le dire d’emblée : celui qui cherche dans les enseignements issus de Siddhartha Gautama quelque justification à ses emportements, en sera pour son compte. Car, comme en témoigne le Dalaï-Lama : « Un instant de colère détruit les mérites acquis souvent avec difficultés pendant des années (…) La colère est l’un des plus terribles ennemis de l’esprit. »

Une racine de la souffrance

Le Bouddha enseigne que la souffrance humaine trouve ses racines dans les kleshas, diversement traduits par « poisons », « passions » ou « souillures ». Ces kleshas sont au nombre de trois : l’ignorance (avidya), l’avidité (tanha) et l’aversion (dosa). Véronique Crombé, conférencière et pratiquante Theravada, explique que « ce qu’on traduit par aversion, c’est un rejet qui peut être violent ou non. La colère naît toujours de la frustration de ne pas avoir obtenu ce qu’on recherche. »  Ce trouble de l’esprit est intimement lié à la cause première du mal-être (dukkha) : avidya, c’est-à-dire l’ignorance de ce qu’est notre nature profonde. Ainsi, la colère est une réaction plus ou moins agressive contre tout ce qui menace notre ego illusoire, ce soi que nous imaginons dépendant et permanent.

Marie-Stella Boussemart, nonne Gelugpa, une branche du Vajrayana, appelée improprement le bouddhisme tibétain, remarque à ce propos que « les « arhats » (1) et a fortiori les Bouddhas ont éliminé définitivement tous les kleshas. Ce qui exclut toute possibilité qu’un Bouddha se mette en colère. » Et, ajoute le médecin bouddhiste, le docteur Trinh Dinh Hy, « Si vous arrivez à avoir le moins d’ego possible, la colère disparaît immédiatement. »

Cela veut-il dire que le bouddhisme incite à rester passif devant les injustices et toute forme d’oppression ? Est-on face à une tradition qui prône l’inaction en condamnant la révolte ? Pas du tout. Car si la colère est un effet du mal-être, développer la compassion permet d’y mettre fin. Et cette qualité, précise Marie-Stella Boussemart, « comporte un aspect que l’on pourrait éventuellement appeler « indignation face à la souffrance d’autrui » ou encore « ressentir la souffrance d’autrui comme inadmissible » (et donc vouloir l’en libérer). »

Remplacer la colère par l’action

On se souvient des combats de l’abbé Pierre pour les plus démunis et ses propos face aux iniquités, lui qui affirmait : « Si nous sommes sans colère quand nous voyons les autres bafoués, exploités, humiliés, il est clair que nous ne les aimons pas. » Pour autant, le docteur Dinh Hy Trinh nous rappelle que le fondateur d’Emmaüs, en dépit de ses diatribes contre les puissants de ce monde, n’a jamais commis d’acte de violence contre quiconque. « Il s’agit dans ce cas d’une colère qui se transforme en action pour la compassion des personnes. Mais, il est important d’être vigilant à ne pas éprouver de la haine envers ceux qui ont causé la souffrance ».

Autant le dire d’emblée : celui qui cherche dans les enseignements issus de Siddhartha Gautama quelque justification à ses emportements en sera pour son compte.

S’il est vrai que la colère est, comme toute émotion forte, une énergie puissante, le bouddhisme insiste également sur son aspect destructeur et difficile à contrôler.  Le docteur Dinh Hy Trinh rappelle l’exemple du Mahatma Gandhi, héraut de l’action non-violente, qui, face aux humiliations subies par son peuple, faisait parfois preuve d’une « sainte colère » pour changer la société dans laquelle il se trouvait.

Cultiver la compassion

La sagesse bouddhique est pragmatique et donne des moyens concrets de déraciner les émotions négatives. « On ne cherche pas à réprimer une émotion négative, indique Dr Dinh Hy Trinh, mais à faire apparaître une émotion positive. Pour cela, le médecin ajoute que la pratique des quatre incommensurables (la bienveillance, la compassion, la joie sympathisante et l’équanimité) est plus que nécessaire. Ces quatre qualités sont considérées comme des remèdes aux situations conflictuelles qui relèvent des relations familiales et sociales. Pour nous aider à les développer et mettre fin à la colère dans le Madhyama Agama (2), Sariputra, le premier disciple de Bouddha, conseille aux moines cinq méthodes. Porter son attention sur les pensées, les paroles, les actes aimables d’une personne irritante, afin d’oublier ce en quoi nous pensons qu’elle nous nuit dans le moment. Et si cela est trop difficile, le sage appelle ses disciples à se souvenir que si une personne n’est pas aimable, c’est parce qu’elle souffre beaucoup.

Pleine conscience

Pour autant, dans un accès de fureur, d’autres recommandent l’exercice de la pleine présence, sans analyse, à ce qui se joue en nous sur le moment. Adepte de la méditation Vipassana, Véronique Crombé conseille d’observer sa colère, « sans la nier, mais de la reconnaître pour ce qu’elle est. Sans se laisser mener instinctivement par elle. Et de se demander ensuite : d’où est-elle venue ? Quelles sont les circonstances qui font qu’elle est venue, pour que dans des circonstances comparables ça ne se reproduise plus ? »

« Si nous sommes sans colère quand nous voyons les autres bafoués, exploités, humiliés, il est clair que nous ne les aimons pas. » L’Abbé Pierre

Quid alors des pratiques tantriques du Vajrayana, qui proposent d’utiliser les énergies des émotions négatives comme un terreau sur lequel s’appuyer ? À ce sujet, la nonne Gelugpa Marie-Stella Boussemart rappelle que « les tantras sont des enseignements élevés et en principe secrets. Les Occidentaux sont attirés par les tantras. Mais faute d’avoir les clefs, il y a de nombreux malentendus, contresens, etc. ». La méthode des antidotes qui consiste à transformer une énergie négative en son contraire, facile à comprendre en théorie, demande comme toute pratique bouddhiste, à être apprise et pratiquée en étant guidé par un enseignant qualifié.

Avant de s’engager sur la voie bouddhiste, faire preuve de bon sens vis-à-vis de sa colère ou de celle des autres reste donc une solution pragmatique et positive, accessible à tout un chacun

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François Leclercq

François Leclercq est le fondateur de Bouddha News, site internet qui a pour but de diffuser des informations et des conseils pratiques sur le bouddhisme et la spiritualité. François Leclercq est né et a grandi à Paris. Il a étudié le bouddhisme à l'Université de Paris-Sorbonne, où il est diplômé en sciences sociales et en psychologie. Après avoir obtenu son diplôme, il s'est consacré à sa passion pour le bouddhisme et a voyagé dans le monde entier pour étudier et découvrir des pratiques différentes. Il a notamment visité le Tibet, le Népal, la Thaïlande, le Japon et la Chine.

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