C’est à Thimphu, capitale sans feu tricolore où les moulins à prières et drapeaux de prières multicolores sont beaucoup plus nombreux que les distributeurs automatiques de billets, que nous l’avons rencontré en 2012 pour la première fois. Il portait alors le « gho », un impeccable vêtement aux motifs écossais, à mi-chemin entre le kilt et le kimono, noué à la ceinture et paré de manchettes d’une blancheur éclatante. Ha Vinh Tho venait tout juste d’être nommé directeur des Programmes du Centre du Bonheur National Brut (B.N.B.) au Bhoutan. Sa mission ? Tenter d’ancrer le B.N.B. dans la pratique en créant un centre de formation, d’expérimentation et de recherche tourné vers l’action, ouvert à tous, qui soit capable d’incarner une expérience pilote de ce que pourrait devenir la société bhoutanaise si la population s’appropriait pleinement cette philosophie. Un objectif ambitieux – dans ce petit pays où les voix critiques à l’égard du Bonheur National Brut semblent être presque aussi nombreuses que celles des aficionados – qui n’effraye pas le moins du monde cet homme pondéré, presque réservé, à l’œil vif et pétillant sous son casque de cheveux gris. C’est que le docteur Tho, comme l’appellent alors ses confrères bhoutanais, est, ici, en terrain familier : celui de l’apprentissage transformateur, thème de son doctorat à l’université de Genève qui le mobilise depuis plusieurs décennies.
Une approche holistique du développement
« Quand j’ai été nommé au Bhoutan, j’ai eu l’impression que je parvenais à une dimension de synthèse d’un élément clé de ma réflexion : comment articuler transformation personnelle et transformation sociale ? J’ai toujours eu l’impression, au cours de ma carrière, de faire des allers et retours entre l’une et l’autre. Au Bhoutan, ces deux éléments se trouvaient réunis dans une activité qui tient compte simultanément des deux dimensions », souligne, volubile, et soudain beaucoup plus souriant, cet homme engagé.
Quel bilan tire-t-il de ces sept années passées dans ce petit État himalayen qu’il a quitté en 2018 ? « Un bilan en demi-teinte, sourit-il, car j’ai l’impression que nous avons eu presque plus d’échos à l’international qu’au Bhoutan. Nous avons cependant désormais une idée très claire de la façon dont nous allons pouvoir aider les entreprises à adopter cette philosophie », insiste-t-il. Avant de confier que c’est dans le domaine de l’éducation, en créant des programmes pour développer des écoles, qu’il pense avoir le mieux réussi.
« Quand j’ai été nommé au Bhoutan, j’ai eu l’impression que je parvenais à une dimension de synthèse d’un élément clé de ma réflexion : comment articuler transformation personnelle et transformation sociale ? »
Depuis qu’il a quitté Thimphu, Ha Vinh Tho a repris ses fonctions de Président de la Fondation Eurasia, une ONG qu’il a créée et qui développe des projets écologiques et éducatifs au Vietnam, le pays de naissance de son père et où vit encore une partie de sa famille. « Notre objectif est de faire émerger une société civile dans un pays communiste en introduisant des modes d’organisation sociaux non hiérarchisés, dans un pays qui l’est énormément, mais aussi des pistes concrètes de transition comme l’agriculture biodynamique », souligne-t-il. S’inspirant de ses années passées au Druk Yul, le « Pays du Dragon » en dzongkha, la langue nationale bhoutanaise, et de sa fine connaissance du B.N.B., il a fondé récemment l’Eurasia Learning Institute for Happiness and Wellbeing. Un institut qui s’attache à créer des programmes, en Asie comme en Europe, visant à aider entreprises, administrations, universités et écoles à mettre en place cette approche holistique du développement.