Quand elle a franchi pour la première fois la porte du lycée professionnel l’ENNA à Saint-Denis, dans le 93, Gaëlle Piton n’en menait pas large. Comment convaincre ces garçons prétendument décrocheurs, aux visages fermés sous leurs capuches, des vertus de la méditation ? « Mission impossible », martelait son entourage. Et pourtant, 70% des élèves se sont inscrits à ses ateliers. Bien que son enseignement soit laïque, la menue femme de 38 ans tire sa force de persuasion dans sa pratique personnelle du bouddhisme tibétain empreint de gratitude et de bienveillance. « C’est ce que vous incarnez qui attire », observe-t-elle avec simplicité. Et puis, l’absence de pression séduit. « La méditation n’a pas d’objectif. Alors, quand on propose de faire à l’école quelque chose qui n’est ni raté ni réussi, c’est révolutionnaire ! »
De sa Lorraine natale, où elle a grandi au milieu des cités des alentours de Nancy, Gaëlle Piton a gardé le goût de la mixité sociale. Quand il y a huit ans, elle et son mari, ingénieur du son, ont quitté Paris, devenu trop cher, pour s’établir à Saint-Denis, elle a voulu s’investir pleinement dans ce territoire si particulier. « Même si je suis parfois inquiète, j’aime voir notre fille de cinq ans, Mila-Djinpa (« Djinpa » signifiant générosité en tibétain) à l’aise avec la diversité des populations. » Formée à la source de la sophrologie, celle de l’école caycédienne (du nom du fondateur de la discipline, le psychiatre Alfonso Caycedo), elle y implante son cabinet. Le collège Dora Mar, qui vient d’ouvrir ses portes avec le projet de placer la bienveillance au cœur de son fonctionnement, la sollicite pour sa double compétence en sophrologie et méditation de pleine conscience. En 2015, alors que la ville est meurtrie par l’attentat du Stade de France, elle y initie ses ateliers de méditation auprès des élèves volontaires. L’établissement note une diminution des bagarres et des conseils de discipline. Au point que les professeurs demandent à leur tour à suivre ses séances de méditation. L’expérience analysée sur le terrain par un laboratoire de psychologie positive fait boule de neige. Gaëlle Piton intervient dans quatre établissements de la ville, où elle forme aussi des ambassadeurs – élèves et professeurs – pour la relayer. « Vous voyez, malgré la violence et les trafics de drogue, Saint-Denis regorge d’initiatives et de talents. Ici, on est prêt à tout essayer ! », applaudit l’auteure de La méditation, c’est la vie.
« Danser sa vie »
Celle qui rêvait d’être danseuse n’imaginait pas de telles missions de vie, tour à tour sophrologue, coach, formatrice, journaliste et même conférencière au musée d’art et d’histoire de Saint-Denis, où elle anime des « slows » visites thématiques en pleine conscience. De sa passion très tôt contrariée – ses parents la jugeant trop brillante pour se couper d’études intellectuelles -, Gaëlle Piton met un point d’honneur à aider les autres à trouver leur chemin. Ce qu’elle appelle « danser sa vie ». « J’entends trop souvent des jeunes en consultation dire qu’ils ne sont pas à leur place ou qu’ils n’ont pas d’avenir », s’indigne-t-elle.
« La méditation n’a pas d’objectif. Alors, quand on propose à des écoliers de faire quelque chose qui n’est ni raté ni réussi, c’est révolutionnaire ! »
À défaut de chausser des ballerines, cette diplômée d’un doctorat de littérature sur l’étude de la représentation de la danseuse au XIXe siècle consacre dix années de sa vie à l’accompagnement d’artistes et à la chorégraphie, notamment auprès de Carolyn Carlson à l’Atelier de Paris. « Une chorégraphe extrêmement spirituelle », qui fait écho à sa propre enfance, bercée par les prières d’une grand-mère catholique. À 24 ans, Gaëlle Piton découvre le bouddhisme à Paris auprès du lama Ole Nydahl, dans la tradition du Karma Kagyu. « Je me suis sentie davantage attirée par le bouddhisme tibétain que par le Zen. La musique, le son des tambours, me connectaient à quelque chose de plus familier. » Elle le poursuit son cheminement spirituel en compagnie de son mari, à Karma Ling en Savoie, auprès de Denys Teundroup Rinpoché. Gaëlle Tobden Drönma (littéralement « lumière très puissante ») mesure sa chance d’avoir rencontré le dharma en même temps que son compagnon. « Nous sommes sur la même longueur d’onde », se réjouit celle qui fréquente le sangha Loka de tradition Shangpa Kagyü, à Paris dans le XIIIe arrondissement. Quand ses occupations à Saint-Denis lui en laissent le temps.