Les origines d’une femme indignée
Claude Levenson est née à Paris en 1938. Un jour de 1941, la milice frappe à la porte du domicile familial. Son père, dénoncé par un voisin, est arrêté. Transféré à Drancy, il fait partie du premier convoi envoyé au camp d’extermination d’Auschwitz, d’où il ne reviendra pas. Claude est alors cachée dans une famille de paysans de la Nièvre tandis que sa mère s’engage dans la Résistance. Elles ne se retrouveront qu’à la Libération en 1945. Une expérience traumatisante qui forge son caractère. Pour témoigner de la force d’âme de son épouse, son mari Jean-Claude Buhrer, journaliste au quotidien Le Monde, écrit dans la préface de de la réédition d’Ainsi parle le Dalaï-Lama : « Depuis l’âge de trois ans, Claude n’a plus jamais pleuré ».
Pupille de la nation, élève brillante, elle bénéficie au milieu des années 50 d’une bourse qui l’envoie à la prestigieuse Université Lomonossov de Moscou, où elle apprend, entres autres, le russe, le sanskrit, l’hindi et le persan. C’est là également qu’elle fait la connaissance de jeunes Bouriates et Kalmouks – minorités de l’est de la Russie, proche de la Mongolie – qui l’initient au bouddhisme tibétain. Moscou est alors le carrefour de luttes mondiales, et Claude y rencontre de rescapés du Goulag, des anciens de la guerre d’Espagne et des exilés orientaux, africains ou latino-américains. De là date sans doute sa prise de conscience qu’« au-delà même du Dalaï-Lama, le drame silencieux du Tibet concerne notre propre liberté. Celle de dire non au déni de justice et oui au principe d’autodétermination d’un peuple ». À partir des années 60, aux côtés de son mari, elle n’aura de cesse de lutter pour la survie de tout un peuple en alternant journalisme et traductions littéraires.
Une rencontre qui scelle un destin
C’est en 1981 qu’elle rencontre pour la première fois le Dalaï-Lama, invité par le maire de Paris, Jacques Chirac. À cette époque, l’aura du chef spirituel du Tibet ne dépasse pas le cercle des personnes intéressées par le bouddhisme tibétain. Cette rencontre marque un tournant pour Claude. Lors de leur rencontre suivante à Genève en 1982, Claude demande au Dalaï-Lama son avis sur la situation au Tibet. En réponse, Il l’invite à aller voir sur place. Elle s’y rend en 1984 dès que le Pays des Neiges entrouvre ses portes. Ce voyage est le premier d’une douzaine de séjours sur le Toit du Monde. Claude est choquée de ce qu’elle y découvre : un pays ravagé où ne subsiste plus qu’une petite dizaine de monastères sur les six mille que le pays comptait avant 1959. Mais elle réalise l’importance du Dalaï-Lama dans le cœur des Tibétains : « Dès cet instant, j’ai eu envie de mieux connaître ce personnage, appréhendé jusqu’alors à travers la vision que m’en renvoyait son peuple », expliquera-t-elle.
En 1986, Claude confie au Dalaï-Lama qu’un éditeur lui propose de rédiger la biographie du saint homme. Sa Sainteté lui répond : « Faisons-la ensemble ! ». Fruit de longues rencontres avec le chef spirituel et temporel des Tibétains, Le Seigneur du Lotus blanc est le premier ouvrage d’une longue série. Au total se succéderont pas moins de vingt-cinq récits, dont une quinzaine sur le Tibet et deux sur le bouddhisme, des interviews du Dalaï-Lama et de nombreux articles en faveur de la cause tibétaine. Ces écrits ont été publiés dans une vingtaine de langues, notamment le japonais, le coréen, le chinois (Taïwan) ainsi qu’en arabe.
« Une fois saisi, compris et accepté que tout ce qui existe est sujet à la naissance, la transformation et l’extinction, c’est-à-dire l’impermanence, la vie devient une expérience dont nul, certes, ne sort indemne, mais qui vaut certainement d’être vécue. »
Très attachée au Tibet et au bouddhisme, incarnés par le Dalaï-Lama aux yeux du grand public, Claude Levenson était « bouddhiste à sa manière », comme le dit son mari. Il ajoute que pour elle « le bouddhisme représentait une grille de lecture du monde et pouvait compenser l’excès de matérialisme ». Aussi, quand on lui demande si elle est bouddhiste, elle répond d’une pirouette : « Je l’ai peut-être été dans une vie antérieure et le serai peut-être dans une autre vie… » Lorsque les propos de Claude lui furent rapportés, le Dalaï-Lama s’exclama : « Je trouve que c’est une très bonne définition ! » Elle n’en restait pas moins pratiquante : son livre de chevet était Nagarjuna et la doctrine de la vacuité, rapporte son mari.
« Devenue philosophiquement bouddhiste », comme la décrit Philippe Picquier, l’un de ses éditeurs, elle semblait en avoir saisi l’essence. Elle disait, rappelle son époux : « Une fois saisi, compris et accepté que tout ce qui existe est sujet à la naissance, la transformation et l’extinction, c’est-à-dire l’impermanence, la vie devient une expérience dont nul, certes, ne sort indemne, mais qui vaut certainement d’être vécue ».
Au moment de sa disparition en décembre 2010, Claude Levenson tenait entre ses mains, comme un symbole, une statuette du Bouddha que le Dalaï-Lama lui avait offerte. Qui pourrait rêver meilleur compagnon de voyage ?
À la demande de Jean-Claude Buhrer, mari de Claude Levenson, ce texte a été traduit par Marie-Louise Broch et transmis à Sa Sainteté le Dalaï-Lama.
Version anglaise : https://bouddhanews.fr/claude-b-levenson-eng/