Sa Sainteté Gyalwang Drikungpa

- par Henry Oudin

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Du Tibet au Ladakh, portrait d’un sage à l’itinéraire exceptionnel.

Reconnu comme l’émanation de Tchenrezi, le Bouddha de la compassion, Sa Sainteté Gyalwang Drikungpa, le 37e détenteur du trône de la lignée Drikung Kagyu du Vajrayana, est née au Tibet le 24 juillet 1946. Son grand-père, Dasang Damdul Tsarong (1888-1959), proche du XIIIe Dalaï-Lama (1876-1933), a été l’une des figures politiques les plus influentes du pays au début du XXe siècle. Son père, Dundul Namgyal Tsarong (1920-2011), occupa de hautes fonctions administratives à Dharamsala après la fuite du XIVe Dalaï-Lama. Et sa mère, Yangchen Dolkar, était l’une des descendantes de l’ancienne dynastie royale.

Malgré ces prestigieux ascendants, Sa Sainteté rayonne d’une bonté et humilité infinies qui fédèrent les fidèles. Certains parcourent des kilomètres dans des conditions souvent difficiles et harassantes pour le rencontrer et recevoir ses enseignements. Jeunes, personnes âgées, voire très âgées, laïcs et militaires ne ménagent pas leur peine pour assister à une initiation donnée par Sa Sainteté ou célébrer son anniversaire. Ayant assisté au Grand Drikung P’owa (cf. encadré), qui se déroule tous les douze ans, le 3 août dernier, à son monastère de Phyang, près de Leh, je fus très impressionnée par le nombre incroyable de disciples présents pour recevoir ses bénédictions. Des milliers venus en famille ou entre amis, des mères écoutant attentivement tout en allaitant leurs bébés, des vieux courbés par le poids des ans buvant ses paroles… Tous installés sommairement sur une simple natte ou un tissu sur le sol dur de la terre du Ladakh, sous un soleil ardent, et serrés les uns contre les autres pour se rapprocher au plus près de l’endroit où Sa Sainteté officiait. La dévotion incommensurable qu’ils manifestaient pour leur maître m’a bouleversée. Leur foi en cet être qui représente pour eux très concrètement l’émanation du Bouddha de la compassion ne pouvait que questionner l’Occidentale que je suis, tant la confiance inéluctable dans le Bouddha et ses représentants qu’ils exprimaient chacun à leur manière était forte d’une conviction établie de siècle en siècle et de génération en génération. La plupart des fidèles ladakhis ne connaissent pas le parcours remarquable de Sa Sainteté Gyalwang Drikungpa, peu leur importe : ils savent que c’est un être d’exception et cela leur suffit.

Les Occidentaux ont besoin de plus d’éléments. Je vais donc tenter de résumer cet itinéraire exceptionnel tout en sachant que cela sera forcément réducteur tant il est unique. En voici les très grandes lignes :

Au Tibet 

Particulièrement précoce et mature, dès l’âge de onze ans, Drikung Kyabgön Chetsang donna son premier enseignement public ainsi que sa première transmission. Les années qui suivirent, il montra des capacités intellectuelles exceptionnelles et une grande facilité à comprendre et transmettre des concepts aussi complexes et subtils que ceux de la philosophie du Madhyamaka.

À la suite du soulèvement tibétain de 1959, Chetsang Rinpoché endura des mois d’endoctrinement communiste, qui interrompirent momentanément sa formation philosophique. À partir de 1960, admis dans une école élémentaire à Lhassa, il acheva son cursus en trois ans seulement au lieu de six.

Chetsang Rinpoché travaillait dans les champs au printemps et en été. À l’automne, il escaladait les montagnes afin de couper du bois de chauffage dédié à la communauté, transportant de lourdes charges. En hiver, il s’occupait des eaux usées provenant des fosses de Lhassa. Mais, malgré ce dur labeur, il venait en aide aux autres chaque fois qu’il le pouvait.

En 1966, au début de la révolution culturelle, les gardes rouges s’infiltrèrent dans les écoles tibétaines, les classes et les entreprises s’arrêtèrent. Durant cette période trouble, les Rinpochés et de nombreux aristocrates subirent la brutalité des « tribunaux du peuple ». Lhassa sombra dans le chaos. Dans l’anarchie la plus totale, Rinpoché fut plusieurs fois sauvé d’une mort certaine.

En 1969, il fut assigné dans une « unité de travail » à la campagne, où il fut contraint à un travail physique éreintant dans des conditions de vie misérables. Un oncle, qui lui rendit visite, fut attristé de cette situation et étonné de la grande sérénité de Chetsang Rinpoché face aux nombreux bouleversements de sa vie. Il était semblable à Milarépa, reclus dans des grottes inconfortables et austères en apparence, mais empli d’une vie spirituelle intérieure excessivement riche. Pendant cette période, Chetsang Rinpoché travaillait dans les champs au printemps et en été. À l’automne, il escaladait les montagnes afin de couper du bois de chauffage dédié à la communauté, transportant de lourdes charges. En hiver, il s’occupait des eaux usées provenant des fosses de Lhassa. Mais, malgré ce dur labeur, il venait en aide aux autres chaque fois qu’il le pouvait.

La fuite en exil et la vie à l’étranger 

En 1975, Rinpoché trouva finalement le moyen de s’échapper. Il franchit seul la frontière népalaise à travers les glaciers et les hauts cols, et malgré les incroyables difficultés qu’il rencontra, parvint indemne au Népal. Il rejoignit ensuite Dharamsala. Là, Rinpoché fut à nouveau intronisé symboliquement comme le Drikung Kyabgön Chetsang lors d’une cérémonie en présence du XIVe Dalaï-Lama. Après avoir fait la promesse de prendre à l’avenir la responsabilité de la lignée, il se rendit aux États-Unis où ses parents avaient émigré. Il y apprit l’anglais tout en subvenant à ses besoins à l’aide d’un emploi à temps partiel dans des restaurants comme McDonald’s.

En 1978, il retourna en Inde prendre la charge de la lignée Drikung Kagyu en tant que détenteur du trône.

La vie au Ladakh

Tout au long de sa vie de laïc au Tibet puis aux États-Unis, Chetsang Rinpoché avait maintenu une stricte observance de ses vœux de moine. Dès son arrivée au Ladakh, il commença aussitôt une retraite traditionnelle de trois ans au monastère de Lamayuru, sous la direction du maître de méditation Kyunga Sodpa Gyatso (1911-1980). Il étudia ensuite avec de nombreux lamas et Rinpochés de différentes traditions, dont il reçut les enseignements et initiations. Parmi eux, Dilgo Khyentse Rinpoché (1910-1991), qui reste pour lui comme l’un de ses professeurs les plus importants. Il reçut également notamment de nombreuses transmissions du Dalaï-Lama, de Sa Sainteté le XVIe Karmapa, de Sa Sainteté Taklung Shabdrung Rinpoché et de Taklung Tsetrul. Les transmissions reçues sont si nombreuses qu’il est difficile de les relater ici.

Quoi qu’il en soit, en 1985, Chetsang Rinpoché reçut l’ordination complète de moine de Sa Sainteté le XIVe Dalaï-Lama au cours de l’initiation de Kalachakra à Bodh-Gayâ.

En 1987, Chetsang Rinpoché commença à prodiguer des enseignements dans de nombreux pays. En 2003, il établit près de son monastère un magnifique édifice : la bibliothèque de Songtsen, un centre d’études tibétaine et himalayenne. Cette bibliothèque incarne l’essence de la vision de Rinpoché : ce lieu est un trésor, un think tank pour l’identité culturelle et spirituelle des peuples de la région himalayenne et plus particulièrement de la lignée Drikung Kagyu. Le bâtiment contient des textes rares portant sur tous les sujets de la région himalayenne, des travaux sur la culture tibétaine, sa tradition, la géographie et, bien entendu, des textes bouddhistes issus de toutes les écoles. Il abrite une importante collection des célèbres manuscrits de Dunhuang, découverts le long de la route de la soie. La littérature tibétaine comprend à elle seule des milliers de manuscrits de toutes sortes, y compris le premier dessin médical tibétain connu à l’heure actuelle. Aussi, afin de préserver toute cette culture, Chetsang Rinpoché a rendu accessibles aux chercheurs ces textes rares et anciens portant sur la première période du Tibet. En 2005, près de la bibliothèque de Songtsen, il construisit le College for Higher Bouddhist Studies (Shédra), le Kagyu College. En France, l’Institut du Bouddhisme tibétain Drikung Kagyu Rinchen Pal est le principal centre Drikung placé sous l’autorité spirituelle du Vénérable Drubpön Tharchin Rinpoché, représentant de Sa Sainteté en France.

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Henry Oudin

Henry Oudin est un érudit du bouddhisme, un aventurier spirituel et un journaliste. Il est un chercheur passionné des profondeurs de la sagesse bouddhiste, et voyage régulièrement pour en apprendre davantage sur le bouddhisme et les cultures spirituelles. En partageant ses connaissances et ses expériences de vie sur Bouddha News, Henry espère inspirer les autres à embrasser des modes de vie plus spirituels et plus conscients.

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