J’entends souvent les gens me dirent : « J’aimerais vraiment pratiquer la cuisine en accord avec le zen, mais je ne sais pas cuisiner. Est-ce que c’est possible ? » Non seulement c’est possible, mais c’est presque souhaitable. Tel l’écrivain devant sa page blanche, celui qui ne sait rien peut tout oser et surtout il peut s’amuser.
Un jour que je cuisinais pour un stage avec deux aides bénévoles, je remarquai que l’un d’entre eux me regardait avec grand sérieux et ne manquait pas un seul de mes gestes. Le soir, il reprenait ses notes en vérifiant avec moi les recettes : « Là, tu as donc mis environ une cuillère de soja n’est-ce pas ? Et, ici, du miso ? », etc. Il était souvent désappointé que je ne me souvienne pas de ce que j’avais fait.
Au bout du 4e jour, je le mis devant la casserole où mijotait une potée de légumes printaniers et lui demandai de l’assaisonner à son goût. « Mais non, je ne sais pas ! », répondit-il. Sans réagir, je lui proposai de goûter et de me citer le nom des légumes qu’il dégustait. Je lui demandai ensuite de qualifier chaque légume qu’il avait reconnu et d’y associer une saveur. Enfin, je lui suggérai de fermer les yeux, sans plus rien chercher. À sa grande surprise, il put sentir qu’il manquait juste une pointe d’acidité et un peu de sel.
Découvrir sa nature de cuisinier
Quelques jours plus tard, je lui proposai de composer le menu et ce fut la panique, mais grâce à cette première expérience, il put dépasser sa peur et découvrir dans la confiance sa nature de cuisinier. Son plus grand stress étant de « rater » ; je lui conseillais de se laisser guider par « les papilles de son cœur », car ainsi, il entendrait les saveurs lui murmurer le chemin. Et, il se lança timidement au début et implorant du regard une validation à chacune de ses tentatives, mais très vite, il oublia qu’il cuisinait et commença à rentrer dans le plaisir d’un dialogue intérieur entre lui, les ingrédients et la cuisson. Se libérant peu à peu de ses peurs, il s’embarqua sur le chemin d’une exploration plus poussée du met qu’il concoctait, goûta les épices à sa disposition et, dans ce lâcher-prise, réalisa qu’il était plus un facilitateur qu’un créateur.
Je lui conseillais de se laisser guider par « les papilles de son cœur », car ainsi, il entendrait les saveurs lui murmurer le chemin.
Au bout d’une demi-heure, il me demanda de goûter, c’était juste délicieux. Une cuisine pétillante, très pop, on y sentait une énergie débridée, une créativité qui se cherchait encore, une timidité qui se cachait derrière les épices, mais surtout on y reconnaissait la sincérité.
Je me souviens encore du goût de cette potée devenue gentiment exotique avec laquelle il avait préparé un riz sauvage et des carottes au gingembre frais. Dans les trois bols, il disposa : dans le premier, la céréale neutre ; dans le second, cette potée improvisée, et dans le troisième les crudités. On y retrouvait toutes les saveurs, y compris l’amertume grâce à un peu de thym frais.
Je me souviens encore de son visage quand, à son tour, il goûta et s’exclama : « Mais c’est super bon ! ». Il n’en revenait pas : « C’est moi qui ai cuisiné ça ? C’est fou ! Et dire que je croyais que j’étais nul en cuisine… » Puis, se reprenant, il ajouta avec un grand sourire : « En fait, je n’ai rien fait, cela s’est fait tout seul ! »
À oublier sa peur de rater, il avait pu rentrer en « co-création » avec tous les éléments. Grâce à l’espace libéré de son désir de bien faire, il était rentré dans la confiance. Il n’y a aucune peur à avoir avec la cuisine, il suffit de se laisser prendre par la main pour se rendre compte qu’il est impossible de rater et que même à ne rien faire, ce sera bon (1).
Exercices :
La cuisine de la bienveillance se cultive par l’oubli de ses peurs, le meilleur moyen de le faire est de pratiquer la méditation sans objet. Juste vivre là, sans rien chercher. Il y a alors une détente de tout notre être qui s’opère et c’est dans cet espace que l’intuition peut se glisser. Et, si vous ne le pouvez pas, il vous suffit de prendre quelques grandes respirations en gonflant d’abord le ventre, le sternum et la cage thoracique puis de vider vos poumons après une pause de quelques secondes à poumons pleins. Durant le processus, visualisez l’air traverser le cœur et, à chaque passage, sentez-le s’ouvrir un peu plus. Quand on cuisine ainsi, on demeure alors dans un espace de détente et on choisit les légumes sans trop réfléchir à ce que l’on veut faire. Durant la cuisson, on goûte en fermant les yeux, on s’imprègne des saveurs et on se laisse embarquer.